Fruit de dix années de prises de vue, Acedia, le premier livre de Louise Desnos est un hommage poétique à la paresse. À découvrir chez Witty Books.
« Non, ta tristesse, ton vague à l’âme, si c’est bien ce que je pense, sont plutôt un signe de force… Les recherches d’un esprit vif et excité tendent parfois à dépasser les limites de l’existence, et, bien sûr, ne trouvent pas de réponses. C’est alors que vient la tristesse… ce mécontentement provisoire de la vie… C’est la tristesse de l’âme qui questionne la vie sur son mystère… »
Ces quelques mots tirés d’Oblomov, le célèbre roman de l’auteur russe Ivan Gontcharov, pourraient constituer un pendant littéraire aux clichés de Louise Desnos. La découverte de ce livre est un véritable déclic pour la photographe française qui déjà s’intéressait à ces moments de langueur, ce penchant pour l’indolence auquel elle-même se plaisait à céder, sans pouvoir vraiment le définir.
L’état d’âme que cherche à saisir Louise Desnos dépasse la simple paresse. Si le corps est las, l’esprit ne peut s’empêcher de courir. C’est une paresse inquiète, quelque peu mélancolique, qui fut un temps appelée « acédie ». On l’observe dans la pesanteur que donne la photographe à ses images : les corps sont lourds, comme accablés, enlisés dans un coton invisible. Ils dialoguent avec des clichés véhiculant une certaine étrangeté, des détails attrapés à la volée qui apparaissent tout au long du livre comme s’ils venaient perturber le fil de la pensée.
Lorsque l’on pense à Oblomov, on imagine un jeune homme allongé sur son divan, somnolent dans la torpeur de l’après-midi, dont le silence ne serait perturbé que par le son hypnotisant d’une pendule. Entrouvrant l’œil, Oblomov fixerait le plafond un instant, avant de se décider à feuilleter un livre, hésitant peut-être à se lever pour finalement s’abandonner entièrement à sa paresse : à quoi bon ?
Pour Louise Desnos, ce « à quoi bon ? » est l’essence même de ce qui est en jeu ici. Gontcharov propose de réviser notre perception de la paresse : « serait-elle finalement une renonciation radicale menant à l’abandon de soi et à la mélancolie? Ou l’ultime sagesse, l’ultime lucidité dans l’immobilité et le renoncement? La question reste ouverte et c’est bien ce qui m’a passionné dans ce sujet. »
Si elle décrit la paresse comme un « état de grâce », la photographe considère l’acédie comme un « refus intranquille ». Elle est un remède à une forme de culpabilisation inhérente à la paresse, dont l’idée même s’est construite en opposition au travail. Elle devient une résistance aux injonctions d’un monde où tout semble aller de plus en plus vite. La paresse l’acédie est une affirmation de notre liberté.
Avec ses scènes vécues comme des mirages ou un goût pour les détails parfois absurdes, Acedia nous montre surtout à quel point la paresse peut être moteur de créativité. À moins que la créativité ne soit le remède à la paresse ? C’est au lecteur d’en décider.
Zoé Isle de Beauchaine
Louise Desnos – Acédia
Publié chez Witty Books, 2024
23 x29 cm, 112 pages
ISBN 979-12-80177-44-5
Disponible dans les bonnes librairies et en ligne