L’artiste française emménage au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris pour une exposition temporaire. Fragments d’Histoires vraies, réflexions sur la mort de son père et questions sur notre rapport à notre propre animalité dans un jeu élégant d’images et de mots.
En visitant le musée de la Chasse et de la Nature, Sophie Calle est tombée amoureuse d’une pièce emblématique : un ours blanc empaillé, immense, qui trône au premier étage du bâtiment et déclenche les photos-souvenirs des visiteurs. C’est cet ours blanc qu’elle a décidé d’immortaliser avec son appareil photo et qu’elle donne à voir à l’entrée de l’exposition qui lui est consacrée. Seulement, sur sa photographie, elle a placé un drap blanc sur la bête afin que nous ne voyons plus que sa silhouette massive et devons le deviner.
A côté, pour faire parler cette photographie d’un ours caché par un drap blanc, Sophie Calle a demandé à des membres du musée – gardiens, conservateurs, commissaires d’expositions – ce que cette situation évoque pour eux. « Je vois un fantôme », dit l’un, « mais un fantôme qui ne ferait pas peur ». « C’est le personnage principal du musée qui est là dessous » dit un autre. « Dans mon pays, les femmes portent, le jour du mariage, un voile blanc qui les cache intégralement. Alors il me fait penser à une mariée. Un peu grande… ». Une mariée, un fantôme, toute la matière sur laquelle travaille Sophie Calle est ici réunie avant d’être déployée dans l’ensemble du musée.
Father
Au rez-de-chaussée, c’est d’abord la mort de son père qui est abordée. L’artiste, accompagnée de son amie plasticienne Serena Carone, met en scène cette disparition récente. Un portrait de son père quelques temps avant son décès ainsi qu’un texte émouvant dans lequel Sophie Calle dit les derniers mots qu’elle a entendu alors qu’il était sur son lit d’hôpital. En face, sont exposés des photographies de tombes que Sophie Calle a prises aux Etats-Unis. On y voit le mot « Father » gravé dans la roche. Un peu plus loin, Serena Carone a conçu le gisant de l’artiste. Entourée d’animaux empaillés, la sculpture représente une Sophie Calle le visage caché par une main, une robe colorée sertie de motifs d’animaux marins et une voilette noire autour de la tête pour signifier son état de deuil. Les animaux empaillés représentent les proches de l’artiste qui ne sont plus là et à qui – comme elle le fait pour chacun de ses amis – elle a attribué un animal censé lui correspondre.
Faux mariage
Au premier étage du musée, des fragments de son livre Histoires vraies jalonnent la visite. A chaque fois, un objet – parfois petit, parfois moins – invite à lire le texte qui lui est lié. Ainsi, Sophie Calle a placé un soutien-gorge dans le tiroir d’un meuble ancien : le soutien-gorge qu’elle avait mis quand elle était adolescente alors qu’elle n’avait pas encore assez de poitrine et que sa mère, moqueuse, appellera « soutien-rien ». Plus loin, c’est une chaussure talon-aiguille qui raconte comment elle s’est faite attaquée avec par une strip-teaseuse quand elle travaillait à Pigalle. Plus loin encore, Sophie Calle présente une photographie qui date de 1992 et sur laquelle on la voit devant les marches d’une mairie. Elle est vêtue d’une robe blanche, elle a un bouquet dans les mains et autour d’elle une famille d’amis. Tout fait penser à un mariage, mais c’est une fausse cérémonie. L’artiste a organisé un faux mariage parce qu’elle avait envie de porter une fois dans sa vie une robe de mariée quand bien même elle ne se marierait pas.
Chasseur français
Cet esprit caustique se propage encore à l’étage suivant du musée. Là, Sophie Calle explore le lien que nous avons avec la chasse dans le domaine des amours et de la sexualité. Dans une première partie, elle expose l’un de ses premiers travaux autour de la traque qu’elle a faite d’un homme à Venise. Comme dans une série policière, l’artiste note ses allées et venues et prend des photographies d’elle en train de suivre sa proie à la trace. Un travail qui trouve un écho dans les salles suivantes. Sophie Calle a déniché les petites annonces d’un magazine connu pour ses recherches matrimoniales, Le Chasseur français, et elle en souligne les mots qui reviennent le plus souvent et qui changent avec l’époque. Juste à côté, ce sont des photographies liées à des petites légendes qui évoquent cette prédation permanente entre femmes et hommes. Sophie Calle a photographié des lieux de rencontres où il n’y a personne et elle a ajouté des fragments de petites annonces trouvés dans le journal Libération. Elle en révèle tout le lexique lié à la chasse. Un homme cherche une « biche ». Un autre a vu une « panthère ». Et nous nous demandons quel drôle d’animal nous sommes nous-mêmes parfois pour les autres.
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Sophie Calle et son invitée Serena Carone : Beau doublé, Monsieur le marquis !
Du 10 octobre 2017 au 11 février 2018
Musée de la chasse et de la nature
62 Rue des Archives
75003 Paris
France