La 12ème édition des Rencontres de Bamako, Biennale Africaine de la Photographie, se tiendra au Mali à partir du 30 novembre prochain. Astrid Sokona Lepoultier, qui fait partie de l’équipe de L’Œil de la Photographie depuis plus d’un an, en est l’une des co-commissaires et nous dévoile en quelques mots les coulisses de cet événement historique qui fêtera ses 25 ans d’existence cette année.
Anna Reverdy (AR) : Pourriez-vous nous expliquer comment vous vous êtes retrouvée co-commissaire de la 12ème édition des Rencontres de Bamako ?
Astrid Sokona Lepoultier (ASL) : C’est en réalité la deuxième édition consécutive à laquelle je participe. En 2017, j’avais déjà œuvré en tant qu’assistante-commissaire pour Afrotopia, la 11ème édition de la biennale organisée sous le commissariat de Marie-Ann Yemsi. J’ai dû y prendre goût pour m’embarquer de nouveau dans cette aventure ! (Rires.) La Biennale Africaine de la Photographie est un événement majeur pour le médium sur le continent et il est attendu par les professionnels du monde entier, impatients de découvrir de nouveaux talents, d’apprécier les nouveaux projets d’artistes confirmés, et d’entrevoir les intérêts et les préoccupations d’artistes qui (re)présentent le monde d’aujourd’hui. Bien sûr, comme tout événement d’ampleur, il s’accompagne de nombreux challenges et les équipes qui travaillent à le rendre possible s’y engagent corps et âmes. Alors, lorsque les artistes, les professionnels, les institutions, les journalistes s’y rencontrent dans la bonne humeur, que des échanges se créent, que des opportunités naissent, la satisfaction est grande. Lorsque l’occasion s’est présentée à moi de travailler en tant que co-commissaire aux côtés de mes confrères Aziza Harmel et Kwasi-Ohene-Ayeh, sous la direction artistique du Dr. Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, et avec les conseillers curatoriaux Akinbode Akinbiyi et Seydou Camara, je n’ai pas pu résister à l’idée de revivre cette magnifique expérience !
AR : La Biennale Africaine de la Photographie est un événement qui vous tient particulièrement à cœur. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?
ASL : Je suis née d’un père français et d’une mère malienne et j’ai grandi à Bamako. De mon enfance à aujourd’hui, je n’ai cessé d’être admirative face à la création infinie que l’on y côtoie au quotidien. L’ingéniosité, la créativité, le beau, se présentent à tout œil pourvu d’un peu de curiosité et de clairvoyance, aussi bien dans la rue que dans les ateliers. Les créateurs maliens dans les domaines du design, de la mode, du cinéma, et évidemment des arts plastiques et de la photographie, s’expriment à travers ce quelque chose de tout particulier, une identité unique en son genre, à la fois ancrée dans l’héritage culturel du pays mais aussi au fait du monde globalisé, que j’appellerais bien la « Malian Touch ». Depuis 1994, les Rencontres de Bamako s’activent à rendre visible le travail de photographes et vidéastes maliens, et agissent en faveur de la (ré)activation de l’aura culturelle de Bamako, une ville si souvent désignée comme capitale africaine de la photographie grâce à la biennale, bien évidemment, mais aussi grâce aux grands noms qui ont fait sa réputation, Malick Sidibé, Seydou Keïta, etc. Cette biennale représente pour moi non seulement un moyen d’affirmation de ce statut, mais aussi une opportunité de présenter au monde une image positive d’un pays marqué par un contexte récent tumultueux. Vingt-cinq ans d’existence, malgré une interruption inévitable, sont la preuve irréfutable de l’engouement général porté à l’événement.
AR : Justement, comment est-ce que la prochaine édition célébrera-t-elle le 25ème anniversaire des Rencontres de Bamako ?
ASL : Si je devais la qualifier, je dirais que c’est la célébration de l’audace. Nous avons reçu plus de 330 candidatures suite à notre appel, et avons retenu, en plus des artistes invités, 85 propositions portées par des artistes issus du monde africain, c’est-à-dire du continent africain, des diasporas et des communautés afro-descendantes, avec des artistes de nationalités diverses et variées, telles que mexicaine, indienne ou américaine. Cela signifie que nous avons doublé le nombre d’artistes habituellement présentés. Évidemment, qui dit plus d’artistes, dit aussi plus de lieux ! Cette année, les Rencontres de Bamako n’investiront pas moins de douze lieux à travers la ville, parmi lesquels des espaces muséaux ou culturels mais aussi des lieux publics, des lieux de divertissements et même parfois qui relèvent de la sphère de l’intime. De l’audace, il nous en faut aussi dans le contexte de transformations que la biennale opère cette année à plusieurs niveaux. L’événement, qui avait été jusque-là co-organisé par le Ministère de la Culture du Mali et l’Institut français, est maintenant coordonné entièrement par le Ministère du Mali avec le partenariat de l’Institut français. Aussi, l’ancien Délégué général des Rencontres de Bamako, l’ex-directeur du Musée National du Mali, Samuel Sibidé, dont la carrière fut exemplaire et pleine de succès, passe le flambeau à Lassana Igo Diarra, le fondateur de la Galerie Médina et des Editions Balani’s. Bref, beaucoup de paramètres nouveaux et une grande ambition, avec une riche programmation et une scénographie audacieuse et poétique, alors on croise les doigts pour gagner ce pari un peu fou !
AR : Parlez-nous du thème et de la programmation de cette 12ème édition, qui s’intitule « Courants de Conscience ».
ASL : « Courants de Conscience » est une notion empruntée au domaine de la sociologie et développée par William James pour définir la continuité de l’activité mentale des êtres et ensuite, envisagée comme technique dans diverses disciplines telles que la littérature – on parle d’écriture libre – ou la musique – on parle d’improvisation. Avec ce thème, le Dr. Bonaventure Soh Bejeng Ndikung propose de réfléchir à la façon dont les photographes eux l’utilisent en prouvant le caractère non-figé de la photographie. En photographie, la notion semble renvoyer à la genèse de l’œuvre, à l’état d’esprit de l’artiste précédant l’acte photographique, et c’est ainsi qu’il invite à témoigner de la façon dont le monde africain se pense et se repense, se présente et se représente. L’ensemble des artistes retenus nous livre des récits avérés et/ou fictifs qui sont autant de témoignages subjectifs des réalités tangibles et intangibles d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en ce qu’ils traduisent des visions singulières sur des faits historiques, actuels ou sans espace-temps, et un état d’esprit contemporain. À travers une scénographie audacieuse et assumée orchestrée par le designer et architecte Cheick Diallo, nous sommes fiers de pouvoir faire dialoguer les travaux de jeunes artistes prometteurs tels que Godelive Kabena Kasangati, Adji Dieye ou Fanyana Hlabangane, de talents émergents tels que Amsatou Diallo, Yagazie Emezi, Léonard Pongo, Roger Anis ou Adama Jalloh, d’artistes qu’on ne présente plus tels que Christian Nyampeta, Mouna Karray ou Bouba Touré, avec notamment les « Solid Rocks » dont Felicia Abban, Akinbode Akinbiyi, Jihan El Tahri, Armet Francis, Liz Johnson Artur, Eustaquio Neves, Youssouf Sogodogo (un projet de Black Shade Projects) et Deborah Willis. Il y aura également un focus sur les collectifs, avec par exemple les duos Harun Morrison & Helen Walker et Collectif Orchestre Vide, ou les collectifs de femmes AFPM et MFON, dans l’idée aussi de montrer la nécessité de mutualiser les pensées, les savoirs et les opportunités. En plus de cela, de nombreux projets spéciaux menés à bien par des commissaires invités vont ponctuer la biennale, qui sera aussi enrichie par un programme filmique et un forum très dense.
AR : Un coup de cœur dont vous voulez nous parler ?
ASL : Bien sûr, même plusieurs et le choix est difficile à faire ! Est-ce que vous pouvez copier-coller la liste des artistes ici, s’il vous plaît ? (Rires.) Je pense que je vais tout simplement mettre en lumière l’ensemble des photographes femmes de la 12ème édition des Rencontres de Bamako, qui ont des voix à porter et qui le font avec talent.
Des propos recueillis par Anna Reverdy.