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L. Mikelle Standbridge

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Shoebox Stories
(The Eclipse of Family Histories and Surrogate Memory Tropes)
(Histoires de boîtes à chaussures: Éclipse des histoires familiales et tropes de mémoire de substitution)
par L. Mikelle Standbridge

La photographie risque d’éclipser notre capacité de mémoire. La photographie est presque toujours associée à la mémoire, comme si la photographie en elle-même abritait des souvenirs. Cependant, les personnes sont la véritable clé pour animer une photo autrement muette lorsqu’il s’agit de raconter et de préserver les histoires familiales. Ironiquement, plus nous accumulons des instantanés numériques illimités de la vie de famille qui ne seront jamais triés, moins il est probable que l’une de ces photos soient imprimées, touchées par des mains humaines, racontées ou transmises aux générations futures pour être à nouveau convoquées.

LA VIE DES PHOTOGRAPHIES DE FAMILLE DEPEND DE LA NARRATION

Les problèmes d’organisation, de sélection, de stockage, de formatage et de visualisation futurs rendront très probablement impossible les échanges significatifs de photos de famille. L’instantané et l’omniprésence nous ont fait croire que les photographies vont elles-mêmes raconter les histoires, transmettent automatiquement leur importance, révèlent leur signification personnelle et assurent leur longévité. Mais leur volume même au contraire est dissuasif. La narration restera le rituel qui sauve non seulement nos souvenirs mais aussi la photographie de l’oubli.

Jusqu’à l’ère numérique, les histoires de photos de famille prenaient vie, étaient élaborées, étoffées et embellies par la famille et les proches réunis autour de la table de la cuisine tout en passant au crible les quelques dizaines de photographies qui remplissaient une boîte à chaussures. L’anecdote qui l’accompagnait et la proximité physique avec les membres de la famille qui la partageait, tout en manipulant les images écornées, étaient tout aussi importante que le sujet de la photo elle-même (par exemple, une photo de vous à deux ans dans la baignoire). Le va-et-vient des photos était comme une extension de votre corps. Ce n’était pas seulement une expérience visuelle, vous ressentiez votre appartenance au cercle familial. Il y avait aussi une intimité ou un lien créé avec les personnes qui vous entouraient, car à ce moment-là rien ne semblait plus important. Il n’y avait aucun autre endroit où vous auriez préféré être.

CE RITUEL DE PARTAGE IMPLIQUAIT LA PHYSICALITÉ DE L’OBJECT PHOTOGRAPHIQUE, LA PROXIMITÉ DES PERSONNES, L’INTIMITÉ ET UNE PARTICIPATION ACTIVE DE CHACUN

Rien ne peut arrêter la tendance à produire des photographies de famille numériques, insignifiantes et vite oubliées qui affaiblissent nos souvenirs. En contrepoint, ou du moins en parallèle de ce processus, la série, « Shoebox Stories », existe comme un déclencheur permettant de faire remonter nos souvenirs latents. Sous la forme d’une installation composée d’une table et de chaises, cet ensemble de plusieurs dizaines de photographies en papier, patinées pour faciliter leur manipulation, est exposé dans une sorte de boîte à chaussures, laissée ouverte sur la table pour que les visiteurs puissent les prendre en main et les regarder de prés. Les photographies, tels des tropes visuels, sont une sorte de substitut présentant un moment de la vie (rêves d’enfance, chagrin d’adolescent, vœux conjugaux, vieillissement, mort, etc.) invitant le spectateur à choisir une image en résonnance avec leur propre vécu afin d’échanger leurs souvenirs avec la personne assise en face d’eux.
Aucun participant à cette expérience n’a besoin de ses propres photos pour évoquer des événements personnels, car chaque individu possède probablement déjà des centaines, voire des milliers, voire des centaines de milliers de photos documentant sa vie. De plus, de nos jours, il est improbable qu’une photo, par elle-même, conserve très longtemps son importance, de sorte que les images de cette série n’existent que pour être un point de référence, un indice parmi d’autres. Les thèmes ici représentés sont interchangeables avec les images qui circulent partout.

L’AUTEUR N’EST PAS IMPORTANT CAR LES PHOTOGRAPHIES PEUVENT ETRE INTERCHANGABLES

Pour cette raison la pratique narrative autour des photographies reste indispensable pour transmettre un héritage mémoriel aux générations futures. Chaque photo est associée à une couleur et un mot déclencheurs des émotions. Les mots suivent les étapes de la vie et suggèrent des associations pour remettre en marche un mécanisme quelque peu rouillé de notre « storytelling ». La série photographique ici exposée se conçoit comme un album générique pouvant suppléer l’absence d’un album privé trop contraignant à réaliser soi-même.

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