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KW Institute for Contemporary Art : Hervé Guibert : This and More

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Après Rome, l’exposition de l’écrivain français se tient cet été à Berlin. Des images qui explorent l’intelligible des choses et la quête de soi du photographe découvert sur le tard.

Que penserait Hervé Guibert en voyant ses photographies accrochées aux murs du KW, ici à Berlin, plus de trente ans après sa disparition, lui qui s’était toujours considéré comme un photographe du dimanche ? En toute sobriété, les images d’intérieur (et intérieures) de Guibert incarnent un autre récit de la vie de l’écrivain. Si ce sont ses dernières œuvres littéraires, notamment son autofiction À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie parue en 1990 dans laquelle il décrit sa cohabitation avec le sida qui le consacre de son vivant, Guibert n’avait cessé d’écrire depuis La Mort propagande qu’il publie en 1977, à seulement vingt-deux ans. La photographie, en parallèle, l’a toujours accompagnée. Il l’a chérissait tant qu’il lui prêta sa voix singulière dans les colonnes du Monde où il fut le premier critique photographique, de 1977 à 1985 – ses écrits sont à retrouver dans La Photo, inéluctablement paru à titre posthume chez Gallimard en 1999. En 2011, vingt ans après sa mort, la MEP l’inscrit définitivement en tant que photographe avec son exposition Hervé Guibert, Photographe.

Éloge de l’absent

Ces images relèvent de l’impulsion, elles saisissent l’émotion furtive d’un instant présent. Un livre ouvert sur le bord d’une fenêtre, des billes sur un drap blanc froissé, une boule de crystal sur le bord d’une petite table… La photographie était, selon Guibert, vecteur de désirs. Dans l’espace que ses images inspirent, il dépeint ses propres fantasmes, comme celui du septième art, rendu explicite dans “Le rêve du cinéma”. Il ira même à Cannes, dans sa chambre d’hôtel, il capture sa veste de costume posée sur une chaise. Le rêve de désert également, incarné par une photographie posée sur une canapé recouvert d’un drap. Ce désert qui peut être un ailleurs, tout simplement. La photographie semble être le moyen de révéler un jeu, le jeu de son rapport aux choses, de son lien à l’autre. Elle allait donc lui permettre de peindre un univers fait de ce que ces images tour à tour suggèrent et taisent, narrer cet indicible dont le noir et blanc se ferait le trait. Le monochrome que Guibert opposait d’ailleurs à la couleur, qu’il disait mieux convenir à l’image en mouvement.

Dévoilement de soi

Silhouettes, ombres et reflets… les clichés, à l’image de textes littéraires, se jouent de figures de style jusqu’à se faire poèmes. À la fois narrateur et personnage principal, à la fois absent et pourtant si présent, Guibert, en mettant en scène ses fantasmes, dresse en quelque sorte son autofiction. La récurrence de certains motifs viennent alors inscrire le pouvoir allégorique que revêtent ces images. Le livre, à perte de vue dans sa bibliothèque ou seul au sol, vue depuis le dessus d’une chaise ou encore sa table de travail, avec ses feuilles, ses crayons à papier, sa plume et son encre. Son reflet, dans le miroir de la salle de bain ou dans les vitres des cadres, semble véhiculer la dualité de cet homme pluriel dont l’appartement se fait le décor du jeu. Dans son roman-photo Suzanne et Louise paru en 1980,  Guibert décrit la photographie ainsi : “Je crois que ce sont d’autres choses, que des objectifs, qui font les « bonnes photos », des choses immatérielles, de l’ordre de l’amour, ou de l’âme, des forces qui passent là et qui s’inscrivent, funestes, comme le texte qui se fait malgré soi, dicté par une voix supérieure…” Et qu’est-ce qui fait un photographe, si ce n’est finalement cette capacité à transmettre une certaine forme de vie ?

Noémie de Bellaigue

 

This and More de Hervé Guibert au KW Institute for Contemporary Art jusqu’au 20 août 2023.

KW Institute for Contemporary Art
Auguststraße 69
10117 Berlin
https://www.kw-berlin.de

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