La logique aurait voulu que Krass Clement, né le 15 mars 1946 à Copenhague, mise sur le cinéma après ses études à la Danish Film School. S’inscrire dans l’héritage de Dreyer, d’une façon ou d’une autre, aurait pu être avantageux pour ce jeune Danois, mais il a préféré la photographie. C’est donc plutôt en autodidacte qu’il aborde ce médium si démocratique, et, en apparence, si simple, auquel il s’est d’ailleurs exercé à l’adolescence (premières photos à 13 ans).
Paraît, en 1978, son premier livre, Skygger af Ojeblikke/Shadows of Moments, assez proche du reportage, obombré d’une douce mélancolie. S’y rejoignent les lieux chers aux flâneurs qu’il affectionne, gares, parcs, cimetières… Et ces anonymes croisés ici et là, dont il partage l’attente silencieuse, presque existentielle. Peut-être Krass Clement sait-il déjà qu’il a trouvé sa voie : imaginer des livres, voyager, regarder intensément, découvrir ses compatriotes in situ (lors d’une course cycliste, ou sur un ferry) ou partir en quête de ces inconnus qui lui ressemblent tant, à Lisbonne, à Moscou, à Damas.
Depuis Shadows of Moments, Clement a publié une vingtaine de livres. Certains sont devenus aussitôt cultes, ainsi Drum (1996), travelling d’un soir à l’intérieur d’un pub irlandais, d’une intelligence étourdissante, où l’on se sent physiquement près de ces hommes, de leur solitude, à la limite de l’accablement. Une épreuve ? « Quelques rouleaux de film, cinq pintes de bières », dira-t-il simplement, montrant là son goût pour une temporalité longtemps assumée en noir et blanc.
Parfois, comme avec Venten pa i gar/Auf gestern warten aujourd’hui exposé, Krass Clement compose avec la couleur, laquelle gomme partiellement la nostalgie qui grise ses pensées, tout en proposant une lecture plus spécifique d’une Allemagne réunie. Ce mixage d’un passé présent, et réciproquement, est l’une des clefs de Clement. Qui lui permet à la fois d’archiver le temps et de mesurer ses propres désirs. D’où ce sentiment de puissance que l’on peut distinguer, notamment dans ces portraits de femmes aux corps blindés de tonalités crues.
Brigitte Ollier
Krass Clement, Waiting for yesterday
Jusqu’au 14 janvier 2017
21 Rue las Cases
75007 Paris
France