Klavdij Sluban, Leica en bandoulière, pellicule blanc et noir, « raconte » les « Est » à qui sait qu’il en existe toujours un, voire plus. A savoir des zones de haine. D’où ses photographies réalisées lors de voyages transsibériens en Chine, en Mongolie, en Russie.
L’artiste s’est déplacé dans ce « Far Est » en quête d’êtres vivants, animaux en fuite ou humains coincés dans une immensité oppressante et un silence infini toujours perceptible dans un travail fait pour brouiller les cartes. Tout semble sortir de l’ombre. Le neige elle-même est presque noire.
Refusant une vitesse d’exposition rapide Klavdij Sluban laisse un temps de pause long sur le diaphragme fermé afin que le silence lui-même nimbe et opiace la prise. L’immobile devient ce qu’Erri De Luca nomme « l’état de grâce du moment messianique » là où tout semble se fermer et finir.
À Yverdon, l’exposition « libres » (commissaires Barbara Polla et Karine Tissot) présente 48 photographies de la série « Entre Parenthèses ». Le « regard sur les détenus » de Klavdij Sluban devient le regard des détenus.
Le photographe contraint le regard du spectateur à plonger dans celui des détenus, comme dans ce portrait iconique (Nievil, Russie, 1998) : un jeune homme nous regarde, un homme encore jeune, un homme sans âge ou plutôt qui condense tous les âges de la vie. Il n’est pas de face, il se retourne à moitié pour se montrer à nous, pour nous donner à voir son regard sur la vie, pour nous donner les images qui sont les siennes, au fond de ses yeux, dans son cerveau, pour échanger son regard avec le nôtre, sa vision du monde avec la nôtre. À l’ouest comme à l’est.
Jean-Paul Gavard-Perret
Jusqu’au 9 février 2020
Centre d’Art Contemporain
Yverdon-Les-Bains
Place Pestalozzi, CP 649
http://www.centre-art-yverdon.ch/