2012 est l’année de la maturité pour KissKissBanBank. Pionnière du financement participatif, la structure est devenue en trois ans, la première plateforme généraliste de « crowdfunding » en France. Aujourd’hui avec la sortie d’une V2 proposant un site anglophone et l’ouverture de bureaux à l’étranger, les enjeux sont européens. La startup permet à des internautes investisseurs d’être en relation directe avec les créateurs de projets ou le public amateur de créativité, de collecter des fonds et de soutenir tout type de projet culturel, artistique ou innovant. Sélectionné par le magazine Challenges, dans le top 100 des jeunes entreprises à fort potentiel de croissance où investir, KissKissBankBank a su établir, une relation sereine avec ses Business Angels, les donateurs, le milieu artistique et les journalistes professionnels.
Aujourd’hui, la signature d’un partenariat avec Digitalarti, média dédié à l’art numérique et à l’innovation, va permettre à la plateforme de renforcer son soutien à la création numérique. Digitalarti va relayer dans son réseau des projets repérés sur KissKissBankBank, permettant aux créateurs d’aller à la rencontre de leur public.
Tout comme beaucoup de projets déposés, la création de la plateforme est partie d’une discussion dans un cercle de proches et d’un gros pari. En Décembre 2007, alors que Kickstarter aux Etats-Unis n’existe pas encore (aujourd’hui, 1,5 Millions de membres, 70 000 projets soutenus pour 250 millions de dollars collectés !), Adrien Aumont (communiquant) et Ombline le Lasseur (directrice artistique d’un label de musique) discutent d’un modèle idéal de mécénat et de collecte de fonds au sein de communautés. A l’époque une société allemande Seallaband retient leur attention, elle propose de faire participer des internautes dans le financement d’albums musicaux. Vincent Ricordeau (vice-président de Sportfive) rejoindra rapidement le binôme dans l’écriture du projet et la création de la structure. Tous les trois décident de quitter leur fonction et se jettent dans l’aventure. KissKissBankBank vient du surnom de James Bond dans « Opération tonnerre« , Mr. Kiss Kiss Bang Bang. « Le nom résonnait bien dans les milieux créatifs, sa traduction littérale « La banque des bisous », véhiculait un lien entre la notion d’émotion et l’argent. » Vincent Ricordeau ajoute que « la première motivation était de sortir un outil “peer to peer” dédié aux projets créatifs en tout genre. C’est dans un second temps que nous avons pris conscience de l’impact social de notre plateforme, notamment par les liens indéfectibles qui s’établissent entre les créateurs et les contributeurs. Un peu comme cette expression, “le Whuffie”, l’internaute est à la recherche d’un retour en terme de satisfaction, de reconnaissance personnelle et sociale. En ce sens notre nom évoque bien la logique émotionnelle et économique. » Le whuffie est la monnaie éphémère, basée sur la réputation, utilisée en 2003 dans le roman de science-fiction de Cory Doctorow, “Dans la dèche au royaume enchanté”. Dans l’univers développé dans le livre, la plupart des biens sont gratuits. Le whuffie a remplacé la monnaie et incite les individus à réaliser des actions utiles et créatrices. Depuis l’expression est utilisée pour l’e-réputation, elle symbolise le capital sympathie nécessaire à la réussite dans l’univers du web 2.0.
Depuis la création de la plateforme en 2009, près d’1,5 million d’euros ont été récoltés auprès du public et un total de 800 projets, répartis dans 17 catégories, ont été mis en avant sur la plateforme. En créant KissKissBankBank, les fondateurs ont privilégiés un système de troc ou de dons contre dons entre les créateurs et les contributeurs, notamment en réaction aux pratiques de My Major Company, où l’internaute est considéré comme « coproducteur » en recherchant un retour sur investissement potentiel. L’objectif sur KissKissBankBank est de donner naissance à un maximum de projets avec une ligne de conduite claire : les créateurs conservent toujours 100% de la propriété intellectuelle de leur projets. Les contributeurs reçoivent des contreparties en nature (dédicaces, création sur mesure, prestations a domicile, avant-premières etc…) en échange de leurs soutiens financiers.
« Aujourd’hui dans le monde, il y a environ 400 plateformes de ce type, dont la moitié, créée dans la précipitation, n’est pas sereine. Nous avons réfléchi à un outil qui permet de générer plus de moyens financiers que le système des subventions qui met les sphères culturelles à genoux. Plus les subventions descendent, plus les plateformes se développent. Aux USA, elles ont explosé. » Vincent Ricordeau affirme : « Malgré notre positionnement clairement établi au sein de l’économie du partage, nous ne nous situons pas véritablement parmi les sociétés sociales et solidaires. Nous sommes une vraie société, nous avons des investisseurs à bord, et nous souhaitons évidemment être rentables. L’objectif est une forme de « lucrativité » contrôlée. En effet l’impact social que nous recherchons à produire est un indicateur aussi important pour nous que notre rentabilité. »
Adrien Aumont accompagne beaucoup de projets et est en relation directe avec les créateurs de projets. « Je les soutiens dans leur collecte. Nous définissons un mécanisme pertinent puis essayons de mobiliser le plus de communautés sur le web. » Quatre personnes en tout s’y attèlent : deux à Paris (Adrien et Marine), une à Londres (Paul pour le marché anglo-saxon) et une en Roumanie (pour l’Europe centrale et de l’est). Adrien est fier que KissKissBankBank ait pu donner les moyens de financer l’exposition de Jonas Mokas à Budapest ou le livre « Noirs tropiques » de Pierre Hybre. 150 exemplaires, numérotés et signés. « En temps normal, aucune économie sur un tel ouvrage n’est possible. Chaque secteur appréhende le crowdfounding différemment, dans celui du journalisme et des photographes, il y a une grande solidarité. C’est vraiment atypique. » La photographie artistique et le photojournalisme occupent une grande place sur la plateforme. L’arrivée des nouveaux formats et du webdocumentaire a développé la communauté des journalistes. La catégorie la plus représentée est celle de l’audiovisuel, puis de la musique et enfin du journalisme. La photographie représente 20% de notre activité, soit 60.000 euros de collecté, 164 projets en deux ans et 70 réussis. La moitié émane de la communauté professionnelle. Le spectre est large dans les projets financés : un shooting, un voyage, des tirages d’exposition, un livre… Jusqu’à la création d’un festival autour du Polaroïd ou l’organisation d’une des soirées des « Nuits Photographiques« . « Avec les photographes, on sent un esprit de famille, d’entraide. J’ai personnellement fait de belles rencontres comme Bastien Defives de Picturetank avec les projets « Dérives » et « Mamika« , l’équipe du webdocumentaire « La nuit oubliée – 17 octobre 1961 » (grand prix 2012 du jury du festival de la Rochelle), Micha Patault avec « Are vah !« , Benjamin et Daniel Hofman avec « le dernier exode des juifs d’Ethiopie » ou encore « Vox.org« , une belle initiative en data journalisme, réalisée par un des développeurs français de Foursquare. “Nous avons aussi vécu des projets en “live” avec des moments très forts, je pense à Raphaël Beaugrand avec “Paroles de conflits” : “Raphaël a tracé une route qui va de Srebrenica à Hiroshima et pendant un an, seul et à vélo avec sa caméra, il a roulé dans des pays concernés par le conflit en réalisant des reportages et en alimentant sa collecte”.
Adrien Aumont souhaite que la plateforme « soit un déclencheur de projets en donnant à tous la faculté première de propager socialement les initiatives. L’argent est présent dans notre société mais il faut aller le chercher différemment. Notre but est de donner la possibilité à des créateurs ou des journalistes d’aller au bout de leurs idées. Ce qui nous intéresse c’est la crédibilité et la pertinence de l’initiative. Des projets matures incarnés aussi par des porteurs. Pro ou amateur, ce qui importe est le champ des possibles que l’on peut ouvrir. Personnellement, lorsque « L’origine de l’histoire – paroles d’adoptés » d’Hélène Jayet s’est arrêté, j’ai eu une boule dans le ventre ». La collecte apporte tout un tas de chose en plus de l’argent, c’est une histoire humaine, et des liens forts entre les créateurs et sa communauté se tissent. Tu sors tes tripes car le créateur part avec une communauté de fan hardcore. Et aussi avec des partenaires. C’est professionnalisant ! ».
Marianne Rigaux, auteure de « Paroles de Roumains » parle de pression. « J’ai senti que je n’avais pas le droit à l’erreur. Certes la communauté qui te soutient est bienveillante… mais exigeante. Si j’avais eu des aides du CNC et d’un diffuseur, je pense que la pression aurait été moins grande. » Anais Dombret, photographe auteure de “Pourquoi t’y crois” a vécue différemment les choses : “beaucoup de donateurs se « cachent » derrière un speudo, du coup c’était très touchant de découvrir les noms de nos amis à la fin de la collecte.”
Au-delà des donateurs, KissKissBanBank regroupe 40 entreprises « mentors » dont lemonde.fr, webdocu.fr, l’association reconnue d’utilité publique FreeLens, la banque Postale, les cinéma MK2, Youphil, le studio Hans Lucas, Usbeck & Rica, Doc side stories, FrAndroid ou encore l’Esprit du monde. Le mentor apporte une expertise dans son secteur, il peut donner accès à un réseau particulier, crédibiliser et donner de la visibilité au projet. Il peut aussi être potentiellement partenaire dans la diffusion. lemonde.fr a par exemple diffusée « La nuit oubliée – 17 octobre 1961 », « I goth my world » et « Go! Ukraine ». Avec Owni.fr, c’est différent, l’apport est sur la visibilité. Ophelia Noor et Guillaume Ledit ont par exemple pas mal poussé le projet de Micha Patault.
En général, les projets n’ont pas de mentor, le record est détenu par « 21 voix pour 2012 » avec six mentors. Les écoles de journalisme ou de photographie n’ont pas encore compris que cela faisait partie des nouvelles pratiques professionnelles. Jusqu’à présent un seul professeur a porté un projet, par contre les étudiants sont nombreux à nous solliciter. Que ce soit ceux de la Femis, de l’ENS Louis Lumière, de Sciences Po Paris ou d’écoles de journalisme francophones (Toulouse, IHECS…) ou de centres de formation, conscients du tremplin que cela représente, ils se manifestent et veulent se prendre en main.
Pour sa troisième année d’existence, une nouvelle version du site vient d’être lancée. « Enfin ! » lance Adrien Aumont « avec la version bilingue (Français/Anglais), les projets pourront venir et être soutenus du monde entier. L’ergonomie du site est plus simple. Créer son projet est plus facile et pour finir, nous sommes moins chers qu’avant. De 10%HT notre commission passe à 5% (plus 3% de transactions financières), soit 8% TTC. C’est déjà un succès, nous affichons aujourd’hui 25% de croissance par mois en ce moment. »
Sous peu KisskissBankBank va proposer des conditions particulières dans des laboratoires pour soutenir encore plus les photographes. Adrien Aumont ne cache pas qu’il aimerait que des magazines fassent leur veille sur des projets photographiques. “Mais attention, nous ne tenons pas à nous substituer à eux, les médias doivent continuer de produire. » Le panier moyen est de 50 euros et le taux de réussite se situe entre 40 et 45%. Kisskissbankbank, tient du lieu de rencontre. Souvent le premier cercle du réseau de l’auteur est touché : les proches, les amis. Le deuxième cercle se mobilise pour devenir ton ami, ils cherchent à créer un lien social avec toi. Le troisième cercle, celui du grand public est plus difficile à mobiliser. Pour Adrien Aumont, deux points sont essentiels pour réussir sa collecte : « le montant doit être bien défini, en cohérence avec la taille de la communauté et sa capacité à se mobiliser. C’est la règle du tout ou rien. Une projection mentale de la collecte doit être réalisée. On doit diviser le montant total par le panier moyen, c’est la meilleure vision du nombre de personne à mobiliser. Cet objectif définit la faisabilité du projet. Le deuxième point est succint : il faut se bouger jusqu’à l’objectif final ! »
KissKissBankBank a réussi à développer le sponsoring avec des marques. Un partenariat de trois ans avec La Banque postale et webdocu.fr a permis de créer le « Challenge Do it yourself » pour soutenir l’émergence du webdocumentaire. Le principe est simple, La Banque Postale sponsorise des projets à hauteur de 50%. Deux autres challenges existent : dans le domaine des applications mobile avec Android France et dans le court métrage avec MK2. L’équipe réfléchit actuellement à un prix spécifique au domaine de la photographie et du photojournalisme.
A suivre de près donc.
Wilfrid Estève
http://kisskissbankbank.com/terres-communes
http://kisskissbankbank.com/generation-tahrir
http://kisskissbankbank.com/trnopolje-un-ete-oublie
http://www.2300milesofamerica.com
“L’origine de l’histoire – Paroles d’adoptés” : http://vimeo.com/33987220
http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2011/10/17/la-nuit-oubliee_1587567_3224.html
http://webdocu.fr/web-documentaire/2012/03/22/21-voix-pour-2012-rencontre-avec-les-auteurs-du-projet/
http://cinemadocumentaire.wordpress.com/2012/04/20/are-vah-journal-de-bord-dun-webdoc-3
http://www.romainchampalaune.com