Voila bientôt un an que l’artiste japonais Keiichi Tahara nous a quitté. Passant de la photographie de paysage à la photographie de mode, du portrait à la nature morte, puis de la sculpture aux installations, Tahara se définissait avant tout comme « sculpteur de lumière ».
Son lien avec la France est aujourd’hui ce que nous avons décidé de mettre en lumière. « On disait souvent de lui que c’était le plus français des photographes japonais», se souvient Jean-Luc Monterosso, co-fondateur et directeur de la MEP (Maison Européenne de la Photographie) de 1996 à mars 2018.
« Je veux vraiment attraper la lumière ». – Keiichi Tahara, Septembre 2014 pour Les Échos.
Né à Kyoto en 1951, c’est à l’âge de 12 ans qu’il découvre la photographie, aux cotés de son grand-père, pho- tographe professionnel. C’est celui-ci qui lui offre son premier appareil photo, un Asahi Pentax, en 1965. Pour- suivant des études d’art où il commence par réaliser des courts-métrages, sa carrière de photographe commence véritablement en 1973. Suivant une troupe de theatre dans une tournée européenne, il décide de rester en France, où il s’installe dans une chambre de bonne du quartier de Saint-Michel. La, esseulé, ne parlant pas le français, il commence à photographier la vue depuis la fenêtre de son logement. Ce qui commence comme un moyen de connecter l’extérieur à l’intérieur, et à lui-même, deviendra l’une de ses plus célèbre série : «Fenêtres». Il gagne par la suite le Grand Prix des Jeunes Photographes à Arles en 1977 et entame l’année suivante une longue série de portraits d’artistes, d’intellectuels et de personnes d’influence, que nous exposons ici aux cotés des Fenêtres. Il restera finalement en France plus de 30 ans.
C’est par la série des Portraits que l’on se rend compte du chemin personnel parcouru par le jeune photographe. Cet étudiant isolé dans sa studette, qui voulait établir une connection avec le monde extérieur, a réussi son pari : cinq ans plus tard, il est face aux plus grands artistes de son temps et essaye de les connecter à son tour a quelque chose de plus vaste. En faisant la démarche de les inscrire dans une série, Tahara les lie en quelque sorte les uns aux autres. Ils font désormais tous partie de la grande famille des intellectuels passés devant l’objectif du photo- graphe. Et bien au-delà, il s’agit de toutes les connexions anonymes et multiples que permet la photographie. Car n’est-ce pas un des grand pouvoir de la photographie que de montrer à un public élargi l’image de ces person- nages si reconnues pour leurs oeuvres et leurs actions, mais dont le visage reste si méconnu ?
Les plaçants, les déplaçants, Tahara s’amuse à mettre en scène ces personnalités. Jeux de reflets, jeux de cache- cache avec la lumière, suggestions de formes dans les recoins d’une image ou d’une ombre, environnement chargé ou dénudé, le photographe multiplie les indices. C’est d’ailleurs souvent par diptyques ou triptyques que sont présentés ces portraits. Rien n’est cependant figé. Les options sont multiples, les images mobiles. Et dans cette souplesse même de la présentation des oeuvres, l’on reconnaît la subtilité du propos de Keiichi Tahara: comme la lumière a mille facettes et dont l’orientation n’a cesse de bouger tout au long d’une journée, rien dans le vivant, et dans l’humain qu’il photographie, n’est une seule histoire, une seule facette. Tout fait sens, tout est sens, tout a un sens. Somme toute, tout a multitude de sens.
Keiichi Tahara, Sens de Lumière
Du 25 mai au 07 juillet 2018
Galerie &CO119
119 rue Vieille du Temple
75003 Paris