Le photographe japonais Keiichi Tahara est décédé ce mardi 6 juin 2017. Le festival Kyotophographie a fait part de la triste nouvelle. Né en 1951, Keiichi Tahara était un prodige de la photographie. Il fit ses premiers pas dans l’art photographique dès douze ans, bien aidé par son grand-père alors photographe professionnel. Immortalisant d’abord les paysages japonais à l’aide d’un Asahi Pentax, il continue son apprentissage en France après avoir suivi une troupe de théâtre en tournée en 1973. Il fait le choix de consacrer sa vie entière à la photographie et publie ses premières séries (Environnement et Fenêtres). À l’âge de 26 ans, la première consécration advient. Il est adoubé du Grand Prix de la Jeune Photographie à Arles en 1977. L’année suivante, sa série Pièce remporte le Prix de la Critique Photographique Kodak. Il y capture écrivains et artistes. Parmi d’autres séries célèbres, le public retiendra la série Air (1988) et Transparence l’année suivante.
Jean-Jacques Naudet, fondateur de L’Oeil de la photographie se souvient: « J’ai un très joli souvenir de Keiichi. C’était en 1987 à Bagatelle où j’ai organisé pour Photo une exposition intitulée Jardins secrets de photographes. Les dessins d’Henri Cartier-Bresson, les peintures de Lartigue, Man Ray et Bailey, les sculptures de Brassaï et Mappelthorpe, en tout une cinquantaine de photographes. Au vernissage, Jean-Luc Monterosso (fondateur et directeur de la MEP) me présente Keiichi. Le photographe me dit : « J’ai moi-aussi un jardin secret : l’installation. Puis-je venir demain en réaliser une petite ? » « Bien sûr ! », lui répondis-je. Et le lendemain il créa une réplique miniature de la pelouse de sable et cailloux qu’il dessina devant la MEP. L’installation n’étant pas protégée, les enfants ne résistaient pas à changer les traces de Keiichi. Alors il revint tous les deux jours, et pendant deux mois, remettre en forme sa création. La dernière fois que je vis Keiichi, c’était à Paris Photo et Yan Morvan fit l’image ci-dessus. »
Touche-à-tout, curieux pour la lumière, désireux d’aborder d’autres médiums, Keiichi Tahara s’est aussi tourné vers le court-métrage. Japon sur le sens de la lumière en 1990 et Cendres en 1995 comptent parmi ses meilleures réalisations.
Tahara devint alors « sculpteur de la lumière ». Depuis le tournant des années 2000, ses installations lui prirent le plus clair de son temps. Il poursuivit ses recherches sur la lumière, souhaitant pouvoir remuer la mémoire du monde dans la terre des paysages. « La route de la soie a donné la possibilité à diverses cultures et civilisations de se mêler. », approfondissait-il. « En route, elles ont respiré des airs autres, ont reçu des lumières nouvelles et ont expérimenté pleinement des temps différents. Ces expérimentations se sont imprégnées dans la terre, comme mémoire du monde. Je pense que notre histoire porte ces marqueurs, tel un entassement des temps et des lumières. Dans chaque roche sédimentaire, on retrouve des mémoires de la lumière et des traces des temps passés. Nous sommes juste là, sur la surface de ces couches.»
Sa photographie comme ses installations cherchaient à révéler les infimes variations de la lumière. La lumière lui permettait de comprendre un paysage et y déceler sa mémoire pour y écrire une histoire longue, à l’écart des soubresauts de l’Homme. « La lumière du Japon, toujours voilée, n’a rien à voir avec celle de la France, très brutale et perçante. Et la nature de la lumière, j’en suis persuadé, a une incidence sur le paysage, les gens et même la langue que l’on parle », comparait Tahara. « En France, il m’a fallu du temps pour que je m’habitue au climat. Comme si j’attendais longtemps que la lumière d’ici remplisse mon corps, et que toutes mes habitudes et ce que j’avais en moi se transforment en “mémoires” comme des traces. Mais ces mémoires restent confuses comme la boucle de Möbius dont la face est aussi bien la pile, et qui représentent un monde de chaos. »
L’artiste entretenait une relation amoureuse avec la France. Tahara y vivait depuis trente ans. Frappé dès sa jeunesse par la diversité de ses paysages, ses photographies ont souligné la nature et la beauté de l’hexagone. De nombreuses installations permanentes, telles quel Light-Sculpture à Nantes (2005) ou Jardin Niwa (2001) que le public de la Maison Européenne de la Photographie connait aujourd’hui.
Jean-Jacques Naudet et Arthur Dayras