Pourquoi l’homme avec les cheveux gominés photographié par Brassaï est si fier de lui ? Qu’y a-t-il de si troublant dans la chaise à rayures de Matisse ? Et ne manque-t-il pas quelque chose dans cette scène de pique-nique de Manet ? Kathy Grove se joue intelligemment de nous en nous présentant nos peintures et photographies bien aimées, issues de la tradition picturale occidentale, toutes amputées d’un petit quelque chose.
C’est tout simple : l’artiste s’est arrangée pour faire disparaître les femmes de l’image. Quelle idée radicale !
Kathy Grove a travaillé pendant des années comme experte retoucheuse. Elle peut semble-t-il faire disparaître la femme et nous laisser orphelins de sa présence – la mère, la Madone, la tentatrice, la muse. Nous avons du mal à saisir ce qui est révélé par son absence, ce qui manque, ou ce qui est si étrange dans l’image qui en résulte. Kathy Grove met le doigt de manière plutôt subversive sur la contradiction entre le rôle central des femmes dans nos images favorites et celui qu’elles tiennent dans l’histoire telle qu’elle est écrite. Elle appelle cela la présence de l’absence. Sans la représentation féminine pour faire pivot, nous sommes confrontés à la manière dont la femme a été perçue au cours du temps : absente et sans voix.
Recourant à une autre forme de retouche, Grove se consacre également à la « Migrant Mother » de Dorothea Lange, qu’elle transforme en un séduisant modèle. Disparues, les rides, et la crasse ; le regard inquiet laisse place à une expression presque indifférente. Nous sommes tellement habitués à ce type de visage parfaitement lisse que quand nous regardons cette nouvelle version, nous sommes une nouvelle fois confus, incapables de dire ce qui se passe. Grove nous tend un piège, et nous sommes obligés d’admettre que nous pourrions même préférer la version hollywoodienne.
Suzanne Opton