Karlheinz Weinberger était, jusqu’à la révélation internationale de son travail en 2011, un photographe suisse méconnu. Après les Rencontres d’Arles cet été, Steidl à la rentrée, c’est Paris Photo qui lui a rendu hommage la semaine dernière avec une exposition dans son secteur « Prismes ».
L’intérêt que l’on porte aux portraits des Halbstarke, ces loubards zurichois, tient essentiellement à un rapport très particulier au temps et à sa propension à créer des mythes. Entre Karlheinz Weinberger et ces rebelles s’est installé un rapport exemplaire, rare dans l’histoire de la photographie. Les Halbstarke attendaient d’être photographiés, leur vérité avait besoin d’un biographe. C’est à ce moment que Karlheinz Weinberger intervint.
Lui, le photographe des marges et des exclus, les accompagne dans leur tentative de réinventer le monde. La photographie érige des monuments, c’est sa mission. Dans cette ville étrange, Zurich à la fin des années 1950, il n’y a guère de meilleures places que la fête foraine et l’appartement du photographe où ces jeunes issus de la classe ouvrière peuvent enfin exister et s’imposer comme sujets vivant dans la seule réalité possible, la leur. En parfaite connivence avec Karlheinz Weinberger, les Halbstarke bricolent une mythologie commune, peu importe la validité de la fable, et comme leurs cousins anglais, les Teddy Boys, ils aspirent à l’autonomie naturelle. Affranchis, ils se voient survivants d’une société à l’agonie. Leur perception du réel se constitue d’images et de symboles archétypaux. Leur univers est une construction fantasmatique où James Dean, Marlon Brando et Vince Taylor, le double maléfique d’Elvis Presley, garantissent un arsenal d’attitudes et de poses incarnant la révolte. Le corps, ce merveilleux objet modifiable, ordonne un ensemble de signes qui ne sont rien d’autre que des hommages. Les tatouages marquent l’appartenance à la bande et dessinent des armoiries modernes aux seules valeurs que sont l’abandon et la transgression. Les ceinturons, les boucles, les blousons et les bottes alimentent l’imaginaire d’une nouvelle identité.
Karlheinz Weinberger nomme ce rassemblement par les attributs auxquels s’arcboutent les Halbstarke. Il les dote de références joyeuses quand ils jouent à se faire sombres. Ces jeunes mâles, à peine formés, tentent parfois, maladroitement, d’exprimer la puissance et la force alors qu’ils manifestent avec candeur des désirs impérieux et vitaux.
Ces images originales, dont certaines exceptionnelles par leurs tailles, ont été tirées du vivant de l’auteur. Elles constituent sa première sélection personnelle en tant qu’ensemble cohérent. Elles furent exposées pour la première fois en 1980 au Klubschule Migros. Par la suite, ces images ont été présentées en 2011 au Swiss Institute de New York, puis au Museum für Gegenwartskunst de Bâle, sous le titre générique Intimate Stranger.
François Cheval
François Cheval est un commissaire d’expositions photographiques français. Il vit et travaille à Paris.
Karlheinz Weinberger
Paris Photo 2017
9-12 novembre 2017
Grand Palais
3 Avenue du Général Eisenhower
75008 Paris
France
www.parisphoto.com