La bourse W. Eugene Smith pour la Photographie Humaniste s’élève aujourd’hui à 35 000 $. Elle est offerte chaque année au mois d’octobre à un photographe ayant une œuvre, et un projet à proposer, choisi par un panel d’experts. Elle s’inscrit dans la tradition de la photographie concernée et de la compassion dévouée d’Eugene Smith, photographe essayiste dont la carrière s’est étalée sur 45 ans. La bourse a vu le jour en 1978. Les candidatures sont attendues avant ce mercredi 31 mai 2017.
Grâce à cette bourse qu’elle a reçuz en 2016, Justyna Mielnikiewicz a pu mener à bien son projet A Diverging Frontier, dans lequel elle témoigne de la vie dans les anciens Etats soviétiques, 25 ans après la chute de l’URSS, et du rôle de l’ethnicité dans leur développement politique.
En quoi la bourse Smith a-t-elle fait avancer votre carrière ?
Justyna Mielnikiewicz : Il est sans doute trop tôt pour évoquer des débouchés concrets, car je suis actuellement en train de terminer le projet soutenu par la subvention. Il ne fait aucun doute que la Bourse Smith est perçue dans le monde entier comme l’une des reconnaissances les plus importantes dans le domaine de la photographie documentaire. Je sens pour cette raison qu’elle fait considérer mon œuvre comme un travail sur lequel il faut garder un œil. La bourse me permet de produire une série complètement nouvelle, basée sur le travail que j’ai fourni durant la dernière décennie.
Comment avez-vous utilisé l’argent ?
Je m’en suis servi pour donner un coup de fouet à mon nouveau projet, qui s’étend sur le long terme et deviendra la troisième partie d’un travail que j’ai réalisé dans le Caucase et en Ukraine depuis 2002. Comme je l’explique dans mon dossier de candidature, j’ai suivi des minorités russes et des communautés russophones vivant en dehors de la Russie moderne : au Kazakhstan, en Lettonie, en Estonie (voyage prévu pour juillet 2017), en Ukraine et dans le Caucase (à venir). Grâce à la bourse, j’ai pu produire un ensemble d’œuvres d’envergure, jetant les bases d’un ouvrage à venir et d’une exposition . Outre les photos, il comprend des vidéos et des entretiens approfondis. Je prévois de poursuivre ce projet pendant deux ans en l’élargissant à l’Europe, pour montrer qui sont les Russes vivant en dehors de l’ancien espace soviétique et quelle est leur influence sur le terrain. Comme dans le travail que j’ai réalisé avec la bourse W. E. Smith, je montrerai des lieux où les Russes vivent en grand nombre, comme le Montenegro (diaspora relativement récente) ou la France (ancienne diaspora russe renvoyant à la Révolution bolchévique de 1917, mais également diaspora récente des oligarques et des riches russes arrivés en France dernièrement).
Quelles opportunités se sont offertes à vous depuis que vous avez reçu la bourse ?
Etant la lauréate la plus récente et travaillant encore sur le projet, je ne suis sans doute pas la personne la mieux placée pour répondre. Il est peut-être trop tôt pour le dire. Mais il ne fait aucun doute que cette bourse est un événement clé de ma carrière. Sur le plan personnel, je suis rassurée que mon choix de 2002 de me centrer sur les divers aspects de la vie dans les Etats de post-soviétiques ait été la bonne décision (ce dont je n’ai en réalité jamais vraiment douté) et mon intérêt pour les problèmes et les régions dont je témoigne est de plus en plus fort. La bourse Smith, comme la bourse Aftermath quelques années plus tôt, m’a permis de continuer à avancer et a renforcé mon sentiment d’un objectif à atteindre.
Que recherchez-vous dans l’œuvre d’un futur bénéficiaire de la bourse ?
Internet a démocratisé la photo comme médium, en donnant la parole à des photographes qui travaillaient sur leurs reportages depuis des années, souvent dans les régions reculées d’où ils sont originaires. Il n’est plus nécessaire d’être à Paris ou New York pour communiquer ses idées à un large public. J’adore le travail d’Omar Imam, qui a reçu récemment le prix Tim Hetherington Visionary Award – il a fallu un temps douloureux pour voir un travail aussi consistant sur la Syrie.
Avec la bourse Smith, j’aimerais voir des travaux qui créent de nouvelles références visuelles pour des lieux comme le Moyen-Orient, la Chine, l’Afrique ou l’Amérique du Sud. Cela peut être deux reportages sur des lieux insuffisamment montrés ; mais aussi sur ceux qui le sont trop, du moment qu’ils me racontent une histoire, avec un nouveau point de vue sur un espace que je pensais très bien connaître par les actualités.
Y a-t-il des photographes que vous aimeriez voir obtenir la bourse ? Si oui, donnez-nous leur nom et nous les contacterons.
J’admire l’œuvre de nombreux photographes et je suis certaine que j’ignore l’existence de beaucoup d’autres. Mais Smith est une bourse spécifique – rares sont les photographes qui préparent un projet d’envergure sur ceux auxquels je pense. Parmi ceux que je connais personnellement et avec lesquels j’ai évoqué les problèmes de notre profession, trois personnes me viennent à l’esprit : Guy Martin, Newsha Tavakoilian, George Georgiou.
Entretien réalisé par Lou Desiderio et W.M. Hunt
Pour plus d’informations sur Justyna Mielnikiewicz et son œuvre :
Les candidatures pour la bourse W.E. Smith sont attendues avant le 31 mai.