La galerie Esther Woerdehoff présente la série Histoires naturelles de la photographe Juliette Bates jusqu’au 31 mai 2015. Cette série nous raconte une histoire, celle d’un personnage anonyme, dont nous ne découvrons au fil des images qu’un fragment de visage ou les mains délicates, nous tournant obstinément le dos, nous invitant mais, toujours, nous évitant.
Ce personnage est un collectionneur, un classificateur, un arrangeur, qui tente de comprendre et de défier le cours inexorable de la vie. Cette silhouette androgyne et fantomatique, enveloppée de velours noir, nous convie à une quête tranquille mais impossible. À travers ses recherches et ses échecs, c’est aussi à un questionnement sur notre fragile et instable condition d’être humain que nous invite la photographe.
Ce voyage nous entraîne des falaises de craie normandes à des sous-bois brumeux, deux natures fascinantes mais inquiétantes. Dangereusement belles, les côtes blanches et abruptes ne font face qu’à la mer, ne connaissant comme limite que l’horizon, et comme combat que celui contre le vent et les éléments. Séduisante et enveloppante, la forêt ensorcelle les esprits, fait perdre les sens, accueille mais désoriente, embrasse mais étouffe. Face à ces lieux à la fois familiers et hostiles, notre guide ne nous apparaît que plus seul et vulnérable, ridiculement petit face aux flots et à la pierre, perdu au milieu des branches et des troncs qui refusent leur hospitalité.
Nous avons le sentiment qu’il est obligé de fuir cette nature qu’il ne comprend pas pour tenter de trouver refuge dans l’ordre et le classement, la précision et l’organisation. Manipulant l’animal et le végétal comme des objets, des jouets ou encore des ornements, tendre mais maladroit, il se trompe et échoue à capturer et dompter le souffle de la vie. Il ne peut que reconstituer sous des globes de verre de petits microcosmes charmants et précieux, mais vains. Ces mises sous cloche absurdes sont une façon de préserver, bien que tristement, ce qu’il est en train de bouleverser, de fragiliser. Immobiles et silencieux, les animaux que ce naturaliste rêveur a collectés restent figés et impassibles, indifférents.
Il y a un peu de l’oppressant silence des intérieurs de Vilhelm Hammershøi dans les clichés de Juliette Bates, l’espace faussement banal d’une pièce nous laissant présager à tout moment un drame imminent. Il y a aussi de cette inquiétante étrangeté freudienne et romantique, cette cassure dans le quotidien et le familier, où les objets les plus simples nous font douter et basculer dans l’irrationnel et l’angoisse de l’inconnu.
À la manière des vanités qui, en peinture, transmettaient des mises en garde concernant la vie et son éphémère réalité, Juliette Bates adresse-t-elle un message à son spectateur ? S’opposant cependant à la luxuriance des natures mortes d’autrefois, la photographe compose des images d’une rigoureuse sobriété, où chaque élément semble pensé et disposé dans une recherche graphique obsessionnelle et un jeu de lumière tout en douceur et transparence. Chacune de ses images repose également sur une profonde dualité entre l’ombre et la lumière, à la manière de la silhouette sombre de l’entomologiste qui s’impose avec force dans ces intérieurs diaphanes. Ces oppositions et contradictions sont au cœur même de l’esthétique de la série, et nous parlent de l’équilibre fragile entre vie et mort, de notre condition humaine, funambule toujours à la frontière entre obscurité et clarté. Juliette Bates navigue entre la réalité et le rêve, utilisant toute la poésie de sa photographie pour éveiller une réflexion sur les hommes et la nature, sur notre besoin de dominer et de contrôler ces êtres qui nous sont autre. Juliette Bates évite tout anthropocentrisme, et laisse une part égale à l’animal, au végétal et à l’humain qu’elle met en scène.
La photographe déjoue constamment le drame de l’existence et de la disparition grâce à un humour salvateur, dans des mises en scène volontairement enfantines, quelques bulles de savon venant parfois envahir les images comme par jeu.
Dédramatiser afin d’interpeller ? En guise de conclusion, comme un clin d’œil au spectateur, elle nous enjoint non pas à méditer sur notre mort prochaine et inéluctable (Memento Mori), mais plutôt à nous souvenir de vivre (Memento Vivere), et peut-être aussi, de laisser vivre.
Floriane Herrero.
EXPOSITION
Histoires naturelles, de Juliette Bates
Jusqu’au 31 mai 2015
Hôtel La Belle Juliette
2 rue du Cherche Midi
75006 Paris
France