Mercredi 25 janvier, l’INHA fait salle comble en Vasari, où est organisée par l’association Profession photographie la conversation avec Julien Frydman. Anciens collaborateurs, admirateurs ou curieux se pressent pour assister à cet entretien, accueillant comme il se doit son protagoniste principal sous des applaudissements, malgré ses trente-cinq minutes de retard. Autant d’indices de l’aura de Julien Frydman qui, depuis Magnum Photos jusqu’à la Fondation Luma, revient sur son parcours étonnant, placé sous le signe du renouvellement.
En guise d’entrée en matière, Julien Frydman commente une photographie de lui prise en 2007 où il lutte contre le feu dans une rue parisienne : « Eteindre un incendie, belle façon de parler du rôle de directeur de l’agence ». Cette agence, c’est Magnum Photos, à la tête de laquelle Julien Frydman est nommé en 2006, cinq ans après avoir rejoint la direction des partenariats. Aux partenariats, il est en charge des commandes photo adressées par les entreprises à l’agence, commandes non négligeables et indispensables à la (sur)vie de l’agence. Pendant cinq ans, la mission très concrète de Julien Frydman a donc été de développer ces commandes, en recherchant des marques susceptibles de payer les photographes de l’agence pour des prises de vues corporate. Le “personnage” Frydman n’est pas à court d’idées pour tirer astucieusement parti d’une situation artistiquement moins enthousiasmante, mais financièrement nécessaire. Il aime et use du détournement et crée, avec Martin Parr d’abord, le premier numéro de Fashion Magazine, exclusivement illustré par le Britannique de photographies de mode, reprenant les codes traditionnels du genre pour les transformer, les tourner en dérision. Fort de ce premier succès, il renouvelle l’expérience avec Alec Soth et Bruce Gilden. Le pari est tenu : les marques jouent le jeu au point d’accepter de changer leurs publicités pour mettre en valeur leur produit autrement ; les artistes, eux, disposent d’une marge de manœuvre artistique plus importante que lors de commandes commerciales classiques. Julien Frydman explique que le challenge est double, puisqu’il faut, d’une part « réussir à sublimer la commande » et, d’autre part, pouvoir « respecter l’écriture des photographes » dans le contexte spécifique de la mode, et plus généralement, de la publicité.
Arrivé à la direction générale de Magnum, Julien Frydman emploie la même énergie et le même enthousiasme à tenter de trouver des solutions pour l’agence, à renouveler les propositions. Il s’attelle à la problématique de la vente des tirages, peu mise en avant jusqu’alors, et pourtant génératrice de profits. Il crée la galerie Magnum, afin d’offrir une réelle vitrine, artistique comme commerciale, aux photographes et aux photographies ; celles de Philippe Halsman en premier lieu. Pendant ces dix ans chez Magnum, c’est un Frydman prodigieusement équilibriste qui se dessine. D’un flegme étonnant, il fait des difficultés commerciales et financières des atouts et parvient à redynamiser des mécanismes engourdis tout en respectant les écritures photographiques et la liberté d’expression de chacun.
Après Magnum, Julien Frydman prend la direction de Paris Photo, avec la perspective d’installer la foire dans les 13 000m² de la nef du Grand Palais. Le défi est de taille mais, là encore, l’équilibriste Frydman voit au-delà des contingences financières et projette de grandes ambitions artistiques et culturelles pour cette foire dédiée à la photographie. Il désire développer un vrai « espace de programmation », qui réunirait intelligemment institutions, galeries, collectionneurs et partenaires privés, créant des ponts entre ces différents acteurs habituellement distingués et traités individuellement. Son talent réside dans sa capacité à décloisonner, à impulser des mécaniques qui s’encourageront mutuellement. Paris Photo apparaît pour lui comme un terrain inouï d’expérimentations : il décide alors de montrer les acquisitions récentes des institutions et de dévoiler des collections privées, pour valoriser ces acteurs discrets dans leur politique d’achat, et mettre en perspective les enjeux du collectionnisme public et privé. L’économie de la foire se consolide peu à peu grâce aux partenariats ambitieux qu’il développe auprès des marques. Enfin, il met en place des cycles de conférence autour de la photographie et du livre de photographie, qu’il affectionne tout particulièrement. Justement, il désire donner une « place de choix aux livres de photographie », et attribue aux éditeurs, autrefois remisés dans un petit coin, un espace dédié dans la foire. Les livres lui tiennent à cœur, lui qui confie avoir « fait ses classes » en photographie grâce aux livres, c’est pourquoi il décide, à l’instar des photos, de les exposer et de les honorer, avec la création d’un prix en partenariat avec Aperture.
Julien Frydman explique avoir mené à Paris Photo un travail « de temporisation pour assurer un niveau qualitatif ». En effet, alors qu’en 2011, il tentait de convaincre les galeries d’art contemporain de la possibilité d’exposer leurs artistes « utilisant le médium de la photo » (l’art du détournement, encore !) pour « vendre du m² », il part en 2014 en ayant doublé le chiffre d’affaire et le nombre d’exposants, maintenant sélectionnés pour la qualité des travaux artistiques qu’ils présentent. Qualifié de tap dancer par certains (un honneur quand on adore Fred Astaire !), il prend ce surnom à la dérision puisque c’est bien cette qualité d’adaptation à toute situation et d’énergie à toute épreuve qui lui a permis de mener à bien l’aventure Paris Photo, qui s’est d’ailleurs doublée d’une aventure américaine.
Cette aventure américaine, c’est d’abord le choix significatif d’une ville, Los Angeles, et d’un lieu, les studios de la Paramount, pour réussir à exporter une foire française aux Etats-Unis. Alors qu’on aurait intuitivement privilégié New-York, Julien Frydman choisit, stratégiquement et idéologiquement, L.A. notamment pour l’histoire du « rapport à l’image » de la ville, un rapport totalement décomplexé, très intéressant à exploiter. La Paramount s’avère être un champ d’exploration extraordinaire des possibles de l’exposition, l’originalité du lieu permettant également de renouveler l’approche de l’architecture et l’accrochage traditionnels des foires. Les perspectives ouvertes par ce nouveau lieu lui permettent également de diversifier les contenus pour les adapter au contexte américain. Brouillant les frontières entre réalité et fiction, les propositions sont à l’image des idées de leur instigateur, enthousiasmantes et généreuses. Malgré cela, les difficultés de vendre au public américain et le manque d’effectifs marquent le départ de Julien Frydman de Paris Photo, et la mort de son édition américaine.
Un autre intermède américain ponctue ensuite le parcours de notre tap dancer, la côte Est se substituant à la côte Ouest et le hip-hop aux claquettes, ayant collaboré à l’editing du travail de Sophie Bramly sur l’émergence du hip-hop dans le Bronx des années 70. Après avoir rencontré Kurtis Blow, lors d’une escapade à Harlem pour le lancement du livre Walk this way, aux éditions de la galerie 213, Julien Frydman rejoint la Fondation Luma où il œuvre comme directeur du développement et des partenariats, dans un lien nécessairement moins exclusif à la photographie. L’une de ses premières réalisations tient néanmoins à l’intégration d’Offprint à Luma, foire de livres artistiques indépendants aujourd’hui produite par la Fondation. Avec Offprint, Julien Frydman aimait l’idée de « défendre une communauté » d’éditeurs et d’artisans qui travaillent dans de petites structures à la fabrication de beaux livres. Il s’agit aussi de valoriser ces ouvrages et de les rendre accessibles.
Au sein de la Fondation Luma, Julien Frydman aborde des problématiques plus larges, sociales, environnementales ou urbaines, en privilégiant les interactions avec des acteurs locaux. Comme toujours, il travaille en équilibriste pour concilier des contingences a priori antagonistes. Quand on lui demande s’il s’est lassé de la photographie, il répond par la négative et affirme pouvoir y retourner dès qu’il le désire, au moins par l’intermédiaire des livres qu’il affectionne. Une dernière affirmation qui illustre bien la personnalité et le parcours de Julien Frydman : le renouvellement constant, en toute cohérence.
Anne Laurens
Etudiante en Master 2 de Droit du marché de l’Art, Anne Laurens est diplômée d’une licence d’Histoire de l’Art de l’université Paris-Sorbonne.
Julien Frydman est directeur du Dévelopment à la Fondation Luma-Arles.