Cette série est issue d’un journal photographique que je tiens quotidiennement depuis mon arrivée à Montréal, avec ma compagne et notre fille âgée d’un an, en avril 2010 et ce pour quelques mois encore. Il s’agissait d’apprendre à photographier en réalisant une poétique de la ville et de l’éloignement, mon travail de nuit aux urgences – je suis infirmier – me permettant de consacrer une partie de mes jours à cet ouvrage. Dés l’origine nous avons habité le Mile End, carrefour migratoire où se sont succédés les canadiens français et anglais, des portugais et des grecs, des italiens, des polonais et une importante population de juifs orthodoxes, quartier coincé entre l’avenue du parc et le boulevard St Laurent, entre le plateau et Petite Italie, quelques blocks pour en dessiner les contours avec pour frontière deux lignes noires dans la neige : Une voie ferrée et le passage des trains de la Canadian Pacific Railway. L’Amérique que dès lors je me suis mis à photographier appartient à un paysage rêvé, celui que j’avais découvert enfant devant le poste de télévision et dans l’obscurité des salles de cinéma, les gamins d’ici me firent songer à mon enfance lointaine en Aveyron, les saisons se mêlèrent à mes souvenirs, la neige et la blancheur aux froids hivers d’Aubrac, une boralde claire aux remous du Saint-Laurent. Il s’est donc agit de ma mémoire qu’au fil du temps j’ai photographié dans ces rues mais aussi les souvenirs à venir des enfants qui y grandissent. J’ai aimé au matin me retrouver dans le calme, sentir la pluie ou la chaleur des premiers rayons du soleil, j’ai aimé ainsi sortir des urgences, imprégné de l’odeur et de l’humeur des autres, photographier le silence la neige et sa danse, regarder spectateur la rythmique bien huilée d’une foule qui s’ébranle ; le travail de nuit a cette vertu de faire nager à contre courant. De journées disjointes en nuits blafardes, le voyage devint errance, de celle que Depardon a raconté dans son livre « éponyme », véritable badaud ivre sur les boulevards de Montréal. Représentation géographique d’un espace délimité ce journal est aussi, et peut-être surtout, une fenêtre avec vue sur l’intérieur contre laquelle le spectateur posera son front pour regarder en lui-même, parce qu’une photographie n’est jamais qu’un miroir dans lequel se reflète notre histoire. Le titre de cette série Tôt un dimanche matin est emprunté à Edward Hopper qui peignit en 1930 cette toile conservée de nos jours au Whitney Museum de New-York. Je me suis autorisé cet emprunt d’abord parce que je me reconnais dans la manière dont Hopper regardait une ville et plus généralement notre civilisation, mais aussi parce que dimanche est un jour à mon sens particulier, un silence dans la mesure, une petite mort. Photographier requiert de l’attention et il m’a fallu dévisager Montréal pour construire cette série. Tôt un dimanche matin est aussi le témoignage du caractère mouvant de la ville, comme notre visage qui va se creuser au fil des ans, la cité sans cesse se transforme, se meurt et renaît. De ce mouvement des atomes, « désespérante fragilité de la ville », j’ai essayé d’en extraire deux années, là-aussi un silence dans la mesure, là-aussi une petite mort.
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