Devenir en isolement.
Je suis retournée à Paris après deux mois à Londres, alors que de plus en plus de pays ont commencé à fermer leurs frontières en raison de la pandémie actuelle de Covid-19. Je suis rentrée chez moi, juste à temps pour le verrouillage de la ville. Plutôt que de sortir et de renouer avec les rues que j’aime parcourir, je me suis retrouvée brusquement liée aux contraintes de mon appartement au 6ème étage. Comme beaucoup, j’étais soudainement isolée et incertaine du lendemain. Je me sentais comme dans un rêve, vivant quelque part entre le réel et le surréaliste, les seules informations étant les nouvelles, le ouï-dire et les changements que j’observais se produire autour de moi de jour en jour.
Chaque fois que j’écoutais les histoires tragiques et effrayantes qui se produisent dans le monde entier à la suite de cette crise sanitaire, les mots «c’est comme quelque chose d’un film apocalyptique» m’échappaient. J’ai aussi rapidement réalisé que sans travail et sans vie sociale, j’étais passée de peu de temps disponible à beaucoup. Toutes les excuses que je me donnais pour ne pas avoir poursuivi mes idées créatives étaient désormais annulées.
J’ai décidé de tourner mon appareil photo, le plus souvent orientié sur les autres, sur moi-même et de voir où cela m’emmènerait avec l’intention d’explorer ce monde imprévisible d’histoires oscillant entre réalité et fiction, avec l’espoir que je fournirais en quelque sorte de la joie à ceux qui les ont vus. Je me suis inspirée du présent et du passé, de diverses peintures, photographies, cinéma, mode, de l’actualité et des observations de mon quotidien.
J’ai pris les créations des autres et j’ai trouvé leur pertinence à nos jours.
Chaque jour, je décidais d’un portrait, je me plongeais dans ce monde. J’ai fait des recherches, écouté la musique de cette époque ou la bande originale d’un film et regardé des films et des documentaires. J’ai étudié la pose et l’émotion qu’une image ou une peinture choisie exsudait et bien sûr, je me suis donné le temps de prendre la photo et de la traiter ensuite pour créer l’effet souhaité. Tout ce qui a formé chaque image, j’ai improvisé avec ce que j’avais déjà chez moi à l’exception de quelques perruques que j’ai commandées sur Amazon avant que le gouvernement français ne suspende toutes les commandes non essentielles.
Les objets et les images ont commencé à prendre une nouvelle importance de nos jours et certains objets tels que les masques faciaux, le désinfectant pour les mains, les téléphones portables, les gants et le papier hygiénique sont devenus un signe des temps que j’essaie d’explorer dans certains portraits.
Chaque photo m’a emmené dans un voyage d’exploration, de défis et de relation et d’apprentissage, le tout sans quitter ma maison. Poursuivre ce projet en cours a donné une structure et un terrain de jeu à mes jours de confinement ainsi qu’un moyen de communiquer visuellement ce que moi et les autres pouvons ressentir ou vivre. Faire ralentir le monde, malgré les circonstances tragiques, sur certains aspects peut être considéré comme un cadeau. Un cadeau qui peut être rempli non seulement de peur mais aussi d’espoir et d’une occasion de réfléchir, d’apprendre et de se reconnecter d’une manière que nous avions peut-être écartée dans le monde qui était autrefois.
Julia Keil
