Portraits photographiques rebrodés à la main, les œuvres de l’artiste chilienne Juana Gómez participent tout à la fois de l’exploration scientifique et des traditions ancestrales. Entrelacées de motifs scientifiques et mythologiques complexes, les représentations de son corps et de celui de sa fille cherchent à replacer le genre humain dans un contexte élargi en explorant l’interconnectivité. Au lieu de nous voir comme des individus distincts et détachés du monde autour de nous, Juana Gómez nous positionne en tant qu’éléments d’une chaîne qui remonte aux origines de la vie : un mélange de schémas, de molécules et de micro-organismes.
Le titre de son exposition actuelle, accueillie par la Michael Hoppen Gallery de Londres, est Distaff. Ce terme anglais ancien est l’équivalent du mot français « quenouille », à savoir l’outil dont on se sert pour filer la laine. C’est également un concept, un symbole de tout ce qui a trait aux femmes ou au travail féminin. Juana Gómez fait ainsi référence à la lignée matriarcale d’une famille ainsi qu’à la vie domestique et familiale. Les techniques du filage et du tissage étaient un savoir-faire autrefois transmis de mère en fille. L’artiste s’appuie sur le tissage et la broderie pour explorer généalogie, mythologie et biologie au sein de son patrimoine de femme.
Les portraits de Juana Gómez et de sa fille Julieta peuplent l’exposition, parsemée également des mains de quatre générations de leur lignée de femmes. Les broderies réalisées sur les images de leurs corps créent entre elles un lien à la fois physique et symbolique, qui raconte les liens du sang ainsi que le passage du temps.
L’une des pièces centrales du parcours, The Pattern of Origin, montre le visage de la mère et celui de la fille, placés en parfaite symétrie. Ils génèrent ainsi l’illusion d’un miroir dans lequel se reflèterait la même personne à des âges différents. Sur le visage de Julieta a été brodée une représentation du système lymphatique, dont la fonction principale est d’entretenir l’équilibre de notre système immunitaire et, à l’instar d’une mère pour son enfant, d’agir comme un bouclier face à l’inconnu et au danger.
Folklore et mythe ont une influence évidente sur l’iconographie de l’artiste, comme en témoigne le corbeau tatoué sur sa main et souligné de fil noir dans l’une des œuvres de l’exposition. Les corbeaux sont représentatifs de certaines cultures qui honorent les souvenirs ancestraux. Ils sont liés à la mort et pour certains, ont le don de clairvoyance. Dans certaines mythologies, le corbeau est sorti en volant de la matrice obscure du cosmos, afin d’apporter au genre humain la lumière du soleil – ou la connaissance. Cette créature solaire incarne la passerelle entre lumière et obscurité, entre sagesse ancienne et renouvellement.
Dans de nombreuses œuvres, Julieta et Juana sont rebrodées de systèmes nerveux décrivant des labyrinthes extraordinaires, d’organes tracés au fil d’argent, de bactéries et de symboles figurant sur les pièces de tissus traditionnelles d’Amérique Latine. Elles sont unies par leurs tissus, leurs cellules et leur héritage, par l’air qu’elles respirent et le sang qui coule à fleur de leur peau. Juana Gómez met en lumière les éléments invisibles qui relient les générations, les familles et les civilisations ; et qui rattachent les humains et les animaux à la terre.
Carolina Castro
Carolina Castro est une rédactrice spécialisée en art. Elle vit et travaille à Londres, au Royaume Uni.
Juana Gómez, Distaff
1 novembre – 22 décembre 2017
Michael Hoppen Gallery
3 Jubilee Pl, Chelsea
London SW3 3TD
Royaume Uni