Les yeux magnifiques de Joseph Sywenkyj respirent la gentillesse et le calme.
De ses œuvres émane une sensibilité pétrie de sagesse, contraste marquant avec la tristesse et la violence qu’il capture. Depuis une quinzaine d’années maintenant, ce jeune photographe américain d’origine ukrainienne vit à Kiev avec sa famille. Ceci lui permet d’effectuer des missions internationales, tout en travaillant à des essais photographiques de long terme, qu’il mène sur place : The Ukrainian Revolution, Verses : A Family in Odessa et Verses : Portraits of Disease.
Joseph Sywenkyj s’est enraciné dans la population locale, en espérant que les photographies qui en émergeraient permettraient aux observateurs « de voir au-delà de la spécificité ukrainienne des habitants ». Il précise en outre : « Lorsque je sors travailler, je ne cherche pas à capturer l’apogée d’une action. Je recherche généralement des instants plus calmes, qui permettent d’atteindre autre chose. »
Lors d’une table ronde organisée cette semaine par la fondation Aperture en collaboration avec le W. Eugene Smith Memorial Fund, l’artiste rapportait l’horreur du conflit, évoquant tout particulièrement les survivants meurtris de la révolution. Les yeux pleins de larmes, il a pris soin de nommer chacun des hommes victimes d’atroces blessures et d’amputations multiples.
Joseph Sywenkyj est doté d’un sens unique et bouleversant de la couleur – des tons pastel de pêche, de citron, d’orange et de prune viennent adoucir ses scènes. Curieusement, ce sont ainsi les couleurs de Cézanne qui distillent les douloureuses retombées de ces cauchemars contemporains – funérailles, hôpitaux, émeutes ou moments en famille. L’un de ses portraits les plus mémorables de Masha (2007) en est l’illustration parfaite. Tout en suivant sa famille particulièrement nombreuse, ravagée par la drogue et le Sida, il parvient à y dénicher l’innocence rayonnante. C’est tout à fait remarquable.
La conservatrice Gail Buckland était dans le public. Elle a souhaité réagir à la soirée et voici ce qu’elle écrit : » A l’instar des photographies de W. Eugene Smith, celles de Joseph Sywenkyj, qui vit et travaille en Ukraine, s’incrustent dans l’esprit. Une fois qu’on les a vues, elles restent en nous pour toujours. Si d’aventure il vous arrivait de céder au cynisme et de remettre en question ou minimiser la portée cruciale d’un photojournalisme d’excellence, regardez donc les photographies de Sywenskyj. Absorbez l’impact plus que réel de la terreur extrême fomentée par les Russes tout au long de la révolution ukrainienne. Ses images saisissantes nous rappellent que chaque jour est un jour nouveau et qu’en ce jour, des gens courageux confrontent de nouveaux défis, s’exposant à des conséquences souvent terrifiantes. Dans l’art de Sywenskyj, il n’existe pas de déjà vu. Il connaît intimement les personnes qu’il photographie et son engagement pour la vérité est absolu. »
« Cela fait une quinzaine d’années que je suis l’Ukraine. J’ai pu constater qu’elle avait été largement ignorée, malgré les signes annonciateurs d’instabilité et la rhétorique ouvertement anti-ukrainienne émanant régulièrement de Moscou, écrivait M. Sywenskyj en présentant sa candidature. À l’heure actuelle, la communauté internationale s’y intéresse certes de temps à autre. Mais même en ces occasions, les médias mettent l’accent sur la géopolitique et les dissensions entre chefs d’état européens, qui se chamaillent sur la façon de réagir à l’agression russe. Les familles ukrainiennes, qui se trouvent pourtant en première ligne des actes de guerre et de terrorisme, ne rentrent même pas en ligne de compte. »
Lors d’un entretien avec TIME, il explique qu’en février 2014, « le pays a subi de violentes mesures de répression contre les émeutes anti-gouvernementales qui avaient lieu sur la place centrale de Kiev, suivies de l’effondrement du gouvernement du président Viktor Ianoukovytch. En mars, l’annexion de la Crimée par la Russie mettait le feu aux poudres et déclenchait les affrontements entre les militaires de Kiev et les séparatistes pro-russes de l’Est du pays. J’ai vécu la violence et photographié ce qui se passait dans cette ville que je considère comme la mienne. J’avais l’impression de photographier ma propre communauté – je n’étais pas en train de couvrir un événement à l’étranger. Ceux qui, sur la place, risquaient leur vie pour la démocratie, étaient mes voisins, mes amis, ma famille. »
W. M. Hunt
Joseph Sywenskyj a reçu le prix W. Eugene Smith Grant en 2014. Les lauréats et finalistes de l’édition 2016 seront récompensés lors de la 37e cérémonie annuelle, qui se tiendra le jeudi 13 octobre à 19 heures (SVA Theatre, 333 W. 23rd St. NYC). Accès gratuit. Réservation en ligne possible, dans la limite des places disponibles. Ouverture des portes à 18 heures 15. Cette soirée est largement reconnue comme la plus mémorable du calendrier de la photographie.