Pendant des années je suis allé sur la presqu’île de Saint-Tropez pour photographier ce village mythique, ses people, son ambiance, ses fêtes, pour le compte d’agences ou de magazines. Les années ont passé. Mon retour dans la région, m’a permis d’explorer ce patrimoine naturel très préservé qui l’entoure, tel un véritable écrin. Les itinéraires sont variés. Le sentier serpente du Cap Camarat, au cap Lardier et cap Taillat, tout en nous dévoilant ses merveilles naturelles. Les falaises révèlent des criques, les blocs de granit cachent des anses. L’homme a façonné des passages dans la roche. La variété de végétaux évoluant au fil des saisons est une surprise constante.
Dans ce joyau naturel de la presqu’île de Saint-Tropez, j’arpente les sentiers bordant la mer, je m’attarde, j’observe. Le travail au moyen format télémétrique me donne ce plaisir oublié du déclic silencieux avec la rigueur du cadrage. Ce travail signe également un retour à la photographie argentique, moyen format, en prenant le temps de la contemplation.
Des moments de paysages
Que ce soit en peinture, ou en photographie, le paysage se présente communément dans un format rectangulaire et allongé pour rappeler la perception que nous avons de cet espace commun à tous. Il se développe devant nous sur une horizontale que notre mouvement de tête accompagne pour embrasser dans un grand panoramique ce qui s’offre à notre regard. Le paysage est là, on le connaît, on le reconnaît, ou on le découvre comme un sujet récurrent.
José Nicolas a fait le choix d’un format carré. Il s’écarte volontairement des conventions et pose dès lors la question de cette différence. Ce ne sont donc pas des paysages… En réalité, ce sont des « moments » de paysages. Le format carré est plus utilisé pour le portrait ? Alors, disons-le aussi : ce sont des « portraits » de paysages. Un portrait est toujours une approche vers l’intime du sujet, une façon de voir se soulever une part du voile de son anima… Mais les détails s’oublient toujours dans la majesté générale d’un ensemble, et pourtant, ce qui constitue le tout (ici le paysage), c’est bien la réunion de ces détails, de cet intime organisé. José Nicolas nous donne à voir des « portraits intimes » du paysage, des moments fugaces que nous offre son œil éclairé en pause photo- graphique.
Les photos sont réalisées avec des pellicules périmées. Cela confère aux photographies une dimension nostalgique, lorsque les couleurs ne donnaient pas le plein pouvoir de leur saturation : quelque chose à voir avec le passé, comme le sont ces pellicules « passées de date… » En effet les photos sont intemporelles, elles parlent à nos souvenirs. La terre, la mer, les rochers, sont des acteurs du paysage depuis des millénaires. L’homme passe et engrange les perceptions qui l’alimentent au fil des siècles…
La première photo que je découvre de la série « Camarat » est bleue. Infiniment bleue. L’ensemble est constitué de nombreuses crêtes marines et minérales. Le bleu qui s’ouvre au violet du premier plan, unifie l’image. Le graphisme est à l’unisson, c’est la réunion de deux matières opposées éraflées, égratignées dans leur complémentaire esthétique. Mais un événement lumineux distrait un détail de l’ensemble. En se séparant de la couleur bleue uniforme, il focalise notre regard sur la pointe du rocher blanchi au rayon du soleil, jouant un accord harmonieux avec le remous blanc de l’eau qui affleure. C’est un moment fugace, celui d’un blanc-lumière extrait soudainement d’un univers fondamentalement bleu. Plusieurs photos nous présentent des roches qui se découpent sur fond de mer, opposant leur ligne supérieure faite d’arêtes déchirées, acérées, aiguës à une ligne d’horizon calme et immuable… On voit dans certaines photos que les roches ont surgi par endroit telles des obliques dynamiques, apportant au lieu
un sentiment d’étrangeté, lorsque parfois des escaliers qui guident les pas du promeneur se veulent intrusifs dans cette nature sauvage. La végétation joue avec ce qui lui reste de vitalité, côtoyant les troncs d’arbres qui ont résisté à force de nouer désespérément leurs branches aux intempéries, ou ceux qui gisent foudroyés, séchés par le vent et les embruns, mis à mal par tant de temps de souffrances naturelles. Des sculptures improbables se font jour dans l’anonymat du littoral. Dans une autre vue plongeante on va discerner un petit groupe de personnes occupées à un pique-nique qui suspend un moment leur randonnée. La lumière et l’ombre les rendent mimétique de leur environnement, ils s’immiscent respectueusement dans le décor avec le souci partagé que l’homme ne doit pas laisser la trace de son passage. La série « Escalet » reprend la chromie légèrement désaturée que donne la pellicule périmée. Les verts deviennent plus jaunes, le magenta s’absente laissant une impression de tons plus froids dans ces photos d’étés d’un temps d’avant. Parfois, la qualité inattendue de la colorimétrie des images pourrait faire penser que ce figuier de barbarie est le résultat d’une colorisation appliquée sur les tons gris d’une photo en noir et blanc, comme cela se pratiquait par le passé. La couleur altérée rend le bleu de la Méditerranée plus vert, plus proche d’un lagon d’une autre rive qui fait entrer un paysage d’un ailleurs dans un paysage familier. Dans ces espaces de nature privilégiée, il y a aussi la présence de personnages qui décrivent des « paysages animés », selon la définition en peinture, en participant du sujet général. Les gens anonymes ponctuent les espaces, ils conjuguent le duo homme/nature, non comme un Caspard David Friedrich qui en donnait une dimension philosophico-romantique, mais comme une relation d’apaisement, un vivre ensemble en bonne compagnie.
On voit, ici ou là, dégringoler vers la plage d’abondantes langues végétales faites de plantes grasses qui ignorent les rochers dévêtus de verdure. Dévêtus aussi sont les troncs d’arbres immobilisés sur le sable. Ils ont laissé leur écorce au vent mauvais. Ils perdurent comme des sculptures naturelles qui n’attendent rien d’autre que de se blanchir un peu plus au soleil, ignorant l’homme et ses vicissitudes… Parfois les rochers voudraient s’identifier à une peau. De façon analogique, on peut y interpréter des plissures, des rides, une chair boursoufflée, rappelant que si l’homme imite souvent la nature, celle-ci ne fait pas l’économie de sa ressemblance avec celui qui l’a imagée. Les rochers anthropomorphiques, servis par la paréidolie qui illusionne les associations formelles, nous font découvrir dans ces minéraux notre présence anticipée, bien avant que l’homme ne s’invite sur terre…
Bernard Muntaner Mars 2016
José Nicolas – Portraits de Paysage
Little Big Galerie
45 rue Lepic
75018 Paris