Après mon retour d’un voyage difficile pour couvrir la guerre qui déchirait la Syrie à sa frontière avec le Liban, j’ai décidé de me consacrer à une aventure photographique bien plus relaxante. Lors d’une discussion que j’ai eue à New York avec mon ami Aaron Schumm, je lui ai mentionné qu’il était tout à fait possible de se procurer une paire de passes VIP pour les Adult Video News Awards (récompenses des films pour adultes) à Las Vegas, les Grammy Awards de l’industrie pornographique. Je devais trouver un moyen pour qu’il obtienne cette invitation lui aussi. Après des semaines de négociations avec le bureau de presse des AVN, j’ai finalement réussi à les convaincre qu’il est bien le nouveau journaliste avec lequel je travaille.
Nous décollons tous deux pour Las Vegas, posons nos affaires à l’hôtel Aria, avant de rapidement nous diriger vers le Hard Rock Café où toutes les réjouissances sont prévues. Nous récupérons bientôt nos passes qui nous permettent d’entrer dans n’importe quel show privé, d’emprunter le tapis rouge, et plus important encore, d’assister à la remise des récompenses.
L’industrie pornographique est une affaire sérieuse, une machine financière de plusieurs milliards de dollars qui a la particularité unique d’attirer l’argent que l’économie soit fleurissante ou en plein marasme. Des milliers d’hommes, certains avec leurs femmes ou leurs petites amies, convergent chaque année à Las Vegas à ces Awards pour avoir une chance de rencontrer leur pornstar favorite et de satisfaire leur vice. Les longues files d’attente d’hommes anxieux de pouvoir parler à leurs fantasmes vivants sont impressionnantes : la plupart d’entre eux espèrent faire signer une image explicite de leur star préférée, et, s’ils ont de la chance, échanger une embrassade enflammée avec elle. C’est le moment de raffermir encore les liens avec la clientèle. L’atmosphère est très grivoise, alors que je prends des photos avec mes deux D300 Nikon de ces troupeaux d’américains moyens, les yeux écarquillés, fixant une star se livrant à un exercice de pole dance avec rien de plus qu’un simple string, tandis que d’autres se concentrent sur un large lit où quatre actrices simulent leurs étreintes. Après quelques heures passées à capturer ce genre de scènes, je me rends compte que cette manière de procéder ne me convient pas ; je dois faire quelque chose de différent, de plus substantiel.
Il me faut attendre le jour suivant, durant la tenue de la cérémonie proprement dite, pour trouver l’angle que je recherche. Mon ami et moi passons toutes les procédures de contrôles pour pénétrer dans une salle gigantesque où des centaines de journalistes attendent pour photographier les stars et les producteurs qui passent sur le tapis rouge. Ce genre de séance de shoot est à la fois ennuyeux et rébarbatif, je décide donc de me concentrer sur quelque chose de plus réel et de féminin. Je laisse de côté mon objectif grand-angle pour attraper mon 35mm 1.4 et j’essaye de photographier certaines facettes plus discrètes de ces femmes connues pour leurs prouesses sexuelles. Pendant quelques heures, je déclenche mon Nikon à la recherche de la femme chez ses professionnelles du sexe, étant tout à fait sûr qu’elles ne remarquent ni mon appareil ni moi. C’est seulement à ce moment-là que je commence à apprécier mon travail, en montrant ces femmes sous la lumière de leur féminité.
En fin de soirée, la cérémonie démarre finalement, délivrant près de 100 récompenses à des acteurs de l’industrie. Là encore, je m’essaye à quelque chose de différent en photographiant les rangées de fauteuils faisant face à la scène. Toute l’industrie est présente, un petit millier de personnes qui s’est rassemblé là comme une grande famille, pour se congratuler et se féliciter. Je me concentre une nouvelle fois sur ces brefs instants où les actrices en question ont un moment d’absence, ou même de tristesse, se demandant peut-être quelles seraient leurs vies si elles avaient choisi une carrière différente.
Jonathan Alpeyrie
