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Jonathan Abbou – Oneïros

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Imaginez-vous plongé dans un sommeil profond et que vous rêvez d’être dans la nacelle d’une montgolfière. Imaginez-vous qu’au lieu de voler au-dessus d’un paysage terrestre, vous surplombez des images photographiques gigantesques de la taille d’un terrain de football. Voilà ainsi, posé le décor de l’histoire. Deux personnages sont à bord d’une nacelle : Bina, sorte de prêtresse de la connaissance et son disciple Irfane, jeune homme vif et naïf de par son âge post- adolescent. Tous deux parcourent les grandes thématiques de l’histoire humaine. La première partie du voyage se centre sur quelques grandes inventions de l’homme, sur ce qui en fonde sa culture ; de la découverte du biface pré- historique jusqu’à l’horreur de la guerre historique. Puis, le voyage bascule dans la psyché humaine, en choisissant la perspective prédominante dans nos sociétés occidentales, à savoir l’heuristique de la psychanalyse. Il s’agit dans cette deuxième partie d’essayer de dégager la nature de l’homme. Enfin, le voyage s’achève sur une ultime tentative de com- préhension du réel dans son aspect phénoménologique en essayant d’adopter une attitude hybride empruntée à l’anthropologie et à la philosophie de Bergson. La conclusion du voyage est teintée d’un moralisme écologique et propose une cosmogonie qui emprunte à deux systèmes.

Il ne s’agit pas dans les textes, de réaliser une performance multi-épistémique, car chaque champ des sciences sociales est d’une immense richesse et il faudrait certainement plusieurs vies pour approfondir chacun d’entre-eux. Il s’agissait pour moi d’emprunter certains points, certains concepts qui faisaient écho plus que d’autres et de tenter un survol de surface. Si ces points ont été choisis, c’est parce qu’ils me donnaient l’aspect d’une œuvre d’art. En effet, certains agencements conceptuels forment par association une forme abstraite qui, prise dans son ensemble, possède leur esthétique propre. Même si le privilège s’est porté sur la pensée de fond, il demeure néanmoins que la « pensée de forme » a aussi orienté mes choix. Il s’agis- sait ensuite d’articuler ces deux formes esthétiques. L’une, concrète de par mes photographies, et l’autre abstraite par les formules de l’intelligence. Loin de moi fut aussi l’idée de m’approprier personnellement les pensées des auteurs en imposteur, mais simplement de les rejouer et de les re- placer à la manière d’un acteur et d’un metteur en scène. C’est d’ailleurs pour cette raison et par respect pour leur travail, que je leur ai réservé en fin de livre une rubrique bibliographique, pour que le lecteur puisse approfondir lui-même toutes ces notions s’il le désire. Il est évident que cette liste est non-exhaustive.

Pour la plupart d’entre eux, le point commun épistémique est le mode structuraliste et quel que soit le domaine envisagé, l’on peut y remarquer des ponts dans cette façon d’envisager la connaissance. La tentation fut grande d’agiter ma plume vers des abstractions intégratives. Mais chaque chose restant à sa place, et pour éviter une écriture qui déborderait le cadre de ce livre de photographie d’art avant tout, il me fallut sans cesse réintégrer ma place d’artiste, pour me contenter simplement de réaménagements esthétiques dont je parlais plus haut.

Abordant le travail photographique en tant que tel, je dirai, après coup, que je réalise un travail hybride. Pour tenter de l’expliquer, j’emprunterai à l’anthropologie et à la philosophie deux concepts qui font l’objet d’un paragraphe un peu plus approfondi en dernière partie du présent ouvrage, à savoir : le « naturalisme » et « l’intuition ». Tout d’abord le « naturalisme », entendu au sens de la cosmogonie occidentale, c’est-à-dire une description de monde dans son extériorité. En effet, mes photographies partent du réel et tentent de le saisir avec l’intelligence. Le point de départ étant une réflexion en amont, une sorte de condensation de toutes les idées du thème qui doivent être plaquées, figées sur une surface plane. En ce sens, l’on y retrouve cette particularité spécifique de l’intelligence humaine, dans sa tendance à spatialiser les phénomènes en les divisant, les subdivisant sur une étendue. C’est ce que nous faisons dans nos vies quotidiennes pour rendre le monde intelligible. Ici, on peut aussi parler d’une photographie rationnelle qui recompose les éléments du réel en une structure « cohérente ».

Maintenant, sur le deuxième aspect, celui de l’intuition, il est très difficile de le définir. À la suite des philosophes, je me contenterai de parler de zone obscure, intermédiaire, où vont naître les images, par ce flux et reflux d’avec la matière photographique. Cet aspect-là est essentiel dans mon travail, sans quoi je n’aurais jamais pratiqué cette discipline comme expression. C’est le monde de l’ineffable car du domaine qualitatif et non quantitatif. On peut en tenter les explications par des métaphores et je choisirai celle de Jankélevitch quand il parle de l’intuition et du papillon : si  le papillon est trop loin de la flamme, il en voit les contours abstraits sans en pénétrer l’essence. S’il est trop dedans, il voit tous les aspects, mais se brûle. C’est pour cette raison que je suis incapable d’en parler sans appréhender le phénomène de l’extérieur tout en essayant de rester sur une ligne intérieure. C’est au travers d’un choix de texture, au préalable, que vont se déployer ces sensations qui vont être mon guide. Choix du papier, choix des chimies, choix des émulsions argentiques, interventions pratiques, cheminement successif où le ressenti réinterprète les formes et « é-conduit » les accidents. Ce domaine-là, instinctif, est pour moi celui de l’aspect phénoménologique de la photographie. Il donne à voir la « réalité » au-delà de ce qui est montré. Elle s’intelligibilise un peu, après coup sans jamais se laisser cerner totalement par la raison. C’est fondamental dans mon travail, car cela m’éclaire a posteriori sur une autre façon de voir le monde et d’essayer d’en pénétrer le sens. Comme en philosophie, cela reste une quête de vérité, mais par un détour « d’artifices ». L’usage premier des produits et matériaux photographiques est détourné pour tenter de rehausser, dépasser ce qui est donné à voir. Bien sûr, nulle comparaison entre les impressions d’un livre ( même avec le meilleur des imprimeurs ) de ce que l’observateur verra ici et ce qui est à voir en face d’un vrai tirage. Comme en peinture, il en est de même dans ce domaine lors de la reproduction dans les livres. C’est ici une grande part perdue, mais néanmoins, le lecteur peut pressentir la différence et lui laisser apercevoir ce qu’il pourrait voir à l’atelier ou en galerie.

En filigrane de cette histoire, notre message porte sur une conception d’une Nature vivante, comme l’humain, avec une intentionnalité, des buts, et même une capacité de réflexivité. Seulement ces capacités, qui vont bien au-delà des nôtres, ne se laissent pas appréhender comme cela sans un travail imprégné d’humilité et de sympathie. Cette nature nous a permis des développements incommensurables, aussi bien du côté de notre intériorité que par l’amélioration de nos conditions de vie. L’histoire étant d’essayer de comprendre par quelle sottise mégalomaniaque, l’homme s’obstine à faire de sa bienfaitrice une esclave, l’humiliant, la salissant et cherchant à la détruire. Se réfugiant derrière sa gnose qui en a fait un enfant gâté, un être « superbe » à l’image de son Dieu, l’homme à glissé lentement, mais sûrement, vers son noyau malfaisant, à savoir l’orgueil et son cortège d’illusions. Pourtant, cette même gnose n’a cessé de le mettre en garde contre ce péché capital qui se trouve au sommet de la pyramide des vilenies. Cet orgueil intrinsèque, racine de toutes les maladies qu’il enfante, lui a suggéré le mépris de sa propre mère nourricière : Dame Nature. Or, qu’y a-t-il de plus abject que de battre sa mère et en faire un objet d’humiliation par l’esclavage ? Il serait trop long ici de débattre sur l’origine du mal. La littérature de- puis qu’elle existe s’alimente en boulimique sur ce sujet. Il est important pour chacun de faire un examen de conscience pour chercher à se rapprocher au plus près de la vérité, afin de retrouver une humilité que la confusion de nos sociétés modernes nous laisse apercevoir comme une madeleine lointaine. À n’importe quel instant, dans un moment de colère, cette Mère peut balayer son microbe de fils en soufflant dessus comme sur une brindille de paille. C’est un lieu commun de dire, que si cette nature « lointaine » décidait une révolte ; que le soleil s’éteigne, ou plus proche qu’un virus immaîtrisable surgisse du néant, pour que l’homme chute de son socle statutaire de papier et se mette à genoux pour prier ses dieux en pleurant. Or, il n’est pas sûr, que dans ses supplications, il ne soit pas trop tard et que les dieux soient devenus sourds au bureau des plaintes… Si tout est amené à disparaître tôt ou tard, il ne tient qu’à l’homme de vivre son passage sur terre comme une bénédiction et de faire communion avec la nature, en dépassant sa culture. L’humanité est un corps, une entité autonome à part entière, et de même que ses cellules, l’humain, elle est soumise à l’instinct de mort et ses multiples avatars. Il s’agit de proche en proche, d’amener ceux qui sont les plus « envahis », à rechercher une régulation, par la joie du partage, celle « d’être au vivant ». C’est l’appel à une sorte de conscience universelle qui tend à la sauvegarde de l’espèce vers laquelle il nous faut tous nous tourner. Enfin, aujourd’hui sauver l’espèce, c’est avant tout sauver la nature. Il ne tient plus qu’à nous, l’illusion des cartes en main, d’en faire une véritable culture.

 

Jonathan Abbou – Oneïros
Éditions Dumerchez
Toutes les photographies au dos, sont numérotés, signées, datées et tamponnées au cachet du photographe.

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