My Room
Ou « dis moi ta chambre, je te dirais qui tu es »
Réalisateur de films et clips publicitaires, très reconnu, souvent primé à Tokyo Paris, ou Arles dont il fut, lors des Rencontres 2012, un des lauréats SFR Jeunes talents, John T. poursuit son chemin avec une passion intacte. Dans 36 pays à ce jour, et ce depuis quatre ans, il aime franchir la porte de la chambre de toute une génération : celle des années 80-90. Il lui reste encore le continent africain, prochaine et ultime escale de ce Jules Vernes de l’image, en immersion totale dans ce vaste projet intercontinental. Pour mieux découvrir ce qui est à portée de main, mais souvent niché dans le secret de tout « intérieur » propre.
Rien n’est identique hormis la petitesse de l’espace, dénominateur commun d’une jeunesse qui « montre ce qu’elle veut et cache le reste », comme en atteste Malecq, professeur de fitness à New York, au milieu du fatras de ses vêtements et de ses casquettes bien rangées.
En apparence loin de Pema, au Népal, étudiant en boudhisme qui sait déjà que « spiritualité et richesse naturelle ne peuvent et ne doivent pas cohabiter » . Tout a commencé par la lecture du hors- série Portraits de Réponses Photo, qui a donné à John l’envie folle de partir sac à dos avec le dernier Canon 5D, libre comme l’air à l’assaut de ce projet unique au monde.
Tel un Kerouac de la photo arpentant des diagonales de fou à l’échelle de chaque continent, John T. est aussi le Don Quichotte d’un idéal, pour tenter de voir, derrière l’accès à l’intime, ce que ces jeunes femmes et hommes répondent à la question essentielle et universelle : « What do you need to be happy ? » .
Cette incursion au plus prés d’une génération de notre planète rétrécie à la dimension d’un village de proximité est un remarquable travail journalistique de John T.
Car toutes ces images sont aussi un témoignage de la réalité du monde en marche qui entoure tous les figurants, de la violence sourde qui frappe parfois à la porte grande ouverte des écrans télévisuels du monde pour nous interpeller sur un massacre au fusil dans un collège du Texas à l’extrême pauvreté du Népal.
A Dallas, tristement célèbre depuis l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, là où Ben, étudiant en cinéma, devant la panoplie impressionnante de ses armes étalée devant lui, affirme, sans douter un seul instant : « Je m’oppose aux nouvelles lois d’Obama qui concernent la régulation des armes à feu. »
A Chihuaha au Mexique, au contact des narcotrafiquants, c’est King Warrior II, qui implore les plus jeunes de « comprendre la différence entre force et violence ».
Aucun artifice trompeur à la prise de vue quand la belle Elahe à Téhéran, drapée dans la fierté de ses origines persanes comme dans les velours pourpres de son modeste « chez-soi », constate avec l’impatience du changement : « Nous avons tenté à plusieurs reprises d’obtenir un visa de tourisme pour Paris, sans succès. C’est injuste. Nous nous sentons prisonniers de notre pays. Mais nous restons fiers, en espérant que la situation s’améliore. »
A Tokyo, Benares, Irkuts, New Orlean, Koh Panyee en Thaïlande, à Dali en Chine, avec une grande maîtrise technique et un sens aiguisé du story-board et du cadrage, John, animé d’une jovialité débordante d’enthousiasme, n’a jamais eu de mal à convaincre des inconnus de révéler leur Room.
Sous deux conditions : toujours être au centre de l‘image et regarder l’appareil suspendu au plafond. Ce qui donne, grâce à l’utilisation unique du grand angle, toute sa force au concept. C’est l’ »Identity Shot », ou « Top-Shot », au sens propre et figuré, dans son catalogue de présentation, véritable crédit d’une démarche, qui toujours marque de son empreinte originale le projet en cours. Aujourd’hui, les volontaires sont légion de par le monde à travers les réseaux sociaux, au fur et à mesure que surfe sur le succès du buzz toute une génération qui se reconnaît et veut participer.
John T. « s’éclate » littéralement pour poursuivre demain une nouvelle série. « En quête d’une nouvelle énergie, c’est toujours mon voyage initiatique, proclame, t-il, je me fais souffrance, mais quelle chance ! » Autodidacte avéré, adepte d’une culture imbibée des sons de « Playing for change » à travers la planète, John T. y apporte sa partition visuelle dans les coulisses d’une intimité sans frontières.
Fils spirituel d’un Yann-Arthus Bertrand pour partager l’amour de la terre et de sa jeunesse, John T. guide le Petit Prince descendu de son croissant de lune — cher à St Exupéry — vers l’habitat concentré de notre univers, avec effet de loupe garanti. Il lui reste l’Afrique pour finir ce tour du monde d’une odyssée exceptionnelle de rencontres. A Port-au-Prince en Haïti, toutes les chambres du célèbre Hôtel Oloffson portent le nom d’une célébrité qui a occupé les lieux : parmi tant d’autres, Jackie Kennedy Onassis, Mick Jagger, Graham Greene parce qu’il y écrivit son fameux roman Les Comédiens.
Aucun des acteurs devant l’optique de John T. n’a fait de son intérieur la scène d’une comédie. Chaque détail vestimentaire ou de décor porte la signature authentique de leur personnalité, le poids et la fierté de leurs origines, la force commune de leurs espoirs identiques, de paix, de réussite. A la manière d’Andreea, jeune ingénieur, qui depuis sa Roumanie natale à Bucarest veut croire plus que jamais en l’Europe : « Nous devons la faire grandir, afin de proposer demain un modèle de vie et de société différent de celui des Chinois et des Américains, avec la redistribution des richesses et l’écologie comme moteur. Notre génération doit impérativement prendre conscience de son unité. Car l’herbe ne pousse pas sous les grands arbres comme on dit ici. »
A l’aube d’une mondialisation galopante, on peut déjà constater que John T. a fait un travail remarquable à la chambre. Pas celle que l’on croit en 20×25, mais à la dimension de son intelligence au monde, de sa générosité de cœur et d’esprit. Demain, sociologues et anthropologues du XXIIe siècle lui rendront grâce d’avoir légué le révélateur d’une époque et d’une jeunesse, et le patrimoine d’une photographie unique en son genre. Pour incruster le nom de John T., passé par là, sur le fronton de chaque chambre gravée dans la mémoire numérique de notre temps.
Alain Mingam
Info : [email protected]
EXPOSITION
John T. – My Room, Portrait d’une génération
Du 24 avril au 18 mai 2014
Central Dupon Images
74, rue Joseph de Maistre
75018 Paris
France