De ces voyages en Europe, on connaît ce cliché de rue parisienne, où un homme gît à terre, enjambé par des voyageurs sortant d’une bouche de métro (Paris, France, 1967). Outre cette extraordinaire image couleur, les archives de Joel Meyerowitz regorgent de noir et blanc de la même époque, ceux-là beaucoup moins connus. Ils se retrouvent aujourd’hui rassemblés sur les murs de la galerie Howard Greenberg, à New York, en compagnie d’une série récente de natures mortes intitulée The Effect of France, réalisée dans sa maison en Provence et exposée à Paris Photo en novembre dernier.
Ainsi, European Trip: Photographs from the Car, 1968 présente une quarantaine d’images réalisées en 1966-67 par le photographe américain lors de ces pérégrinations à travers le vieux continent (et plus) : France, Grèce, Espagne, Allemagne, Angleterre, mais aussi Turquie, Bulgarie, Irlande, Pays de Galles, Ecosse, et même Maroc. Des photographies monochromes qui n’ont pas été à l’affiche depuis une grande exposition au New York Museum en 1968. « Pendant mon périple en voiture à travers l’Europe dans les années 60, j’ai souvent vu des choses remarquables passer à toute vitesse devant ma fenêtre, des choses qui auraient certainement disparu si j’avais fait demi-tour pour voir ce qu’elles étaient, se rappelle Meyerowitz. D’une certaine manière, les photographies d’European Trip: Photographs from the Car représentent mon premier travail conceptuel. Je me voyais en train de voyager à l’intérieur d’un appareil photo sur roues, et la fenêtre était le cadre qui me montrait le défilement continu des événements au dehors. Tous ces modestes moments passaient à toute vitesse devant moi et laissaient leur beauté bouleversante sur la pellicule et dans ma mémoire. La vie le long de la route passe toujours à 90 km/h, et même si nous avons maintenant toutes sortes de mécanismes élaborés, l’appareil photo continue d’être le seul instrument qui semble rendre les choses ordinaires primordiales quand nous passons devant elles et que nous reconnaissons leur innocence et leur beauté. »
Inévitablement plane ici l’ombre de Lee Friedlander et son America by Car, ouvrage paru en 2011 qui proposait de voyager à travers les Etats-Unis en auscultant ses paysages ou ses habitants depuis l’intérieur d’un véhicule moderne. Presque un match entre géants de la photographie de rue. Si quelques images rappellent cette série en laissant apparaître au premier plan un bout de carlingue, la plupart n’emploient pas l’artifice de cette mise en scène, qui rendait les cadrages de Friedlander quelque peu répétitifs. Avec Meyerowitz, le sujet reste l’objet trouvé, ici souvent photographié en diagonale, en respectant peu les parallèles ou les perpendiculaires, presque sans la rigueur de composition qui l’a rendu célèbre. Cela a parfois du bon : on découvre que Joel Meyerowitz peut sortir de son classicisme à la technique ultra-maitrisée, on oserait même dire qu’il s’est lâché. Les images, elles, sont forcément moins proches des scènes que lorsque le photographe marche sur le bitume, mais nombre d’entre elles sont intrigantes. Un couple fonce à toute allure sur une moto, une femme marocaine marche voilée avec son enfant à la main, un Gallois tient le sien dans ses bras au bord d’une route, deux chiens espagnols se tiennent au pied d’un arbre, un autre, français celui là, aboie devant une grange. Et plus tard, une jeune femme grecque en bikini se tient à l’arrière d’une décapotable, comme aspirée par le regard du photographe, si bien qu’on s’accorde à imaginer que, pour une fois, Joel Meyerowitz a quitté son siège pour lui faire la cour.
EXPOSITION
Joel Meyerowitz – European Trip: Photographs from the Car, 1968
Jusqu’au 31 mai 2014
Howard Greenberg Gallery
Suite 1406
41E 57th Street
New York, NY
USA
(212) 334-0010
http://www.joelmeyerowitz.com
http://www.howardgreenberg.com