Un grand ciel bleu. Le soleil y brille. Ressenti : 20 degrés. Artistes, curateurs, directeurs de musées et de galeries, journalistes et politiques sont présents. L’enthousiasme est palpable. Nous sommes fin novembre, à Xiamen, en Chine, et c’est ici que l’on retrouve cet air d’été et cette émulation collective quittés quelques mois plus tôt, à 11 000 kilomètres de là. Les gratte-ciels et le gigantisme de la ville en plus.
Bienvenue au Jimei × Arles Festival. Se succèdent sur scène, pour la cérémonie d’ouverture, différentes figures officielles, parmi lesquelles Sylvain Fourrière, consul général de France dans la province de Guangzhou ; RongRong, photographe et co-fondateur du festival ; Christophe Wiesner, directeur des Rencontres d’Arles, qui a fait le voyage pour l’occasion. Car oui, l’occasion est spéciale : en cette année 2024, le festival célèbre son dixième anniversaire, et la France et la Chine, leurs 60 ans d’échanges culturels.
« Il y a dix ans, poussés par une passion commune pour la photographie et un profond désir d’échanges culturels, nous avons lancé cet événement mondial dédié à l’image. Aujourd’hui, Jimei est devenu un lieu où les idées se croisent, où les esprits se rencontrent – une fenêtre qui nous permet de raconter l’histoire du monde à travers la puissance des images. » explique RongRong lors de son discours d’ouverture. Premier festival du genre dans le pays, né en 2015, sa vocation est de faire émerger la photographie contemporaine chinoise sur la scène locale et internationale. En témoigne son nom, qui reflète bien ce double objectif. « Jimei », le district de Xiamen où se déroulent les différentes expositions témoigne de son ancrage local et de l’ambition portée pour cette « petite » ville du Sud ; tandis qu’« Arles » symbolise l’ouverture et la collaboration internationale de grande envergure.
Commençons notre tour par le Centre d’Exposition, un des trois lieux du festival. Aménagé pour l’événement, il accueille sur ses deux étages la vingtaine d’expositions présentées. Cinq d’entre elles viennent tout droit d’Arles. Nous les connaissons. Il s’agit de Voyage au Centre de la Terre de Cristina de Middel et Baroque du Quotidien de Rajesh Vora, qui abordent la thématique migratoire ; Soulever la Poussière de Coline Jourdan, An Electronic Legacy de François Bellabas et New Farmer de Bruce Eesly, qui traitent des sujets environnementaux, mêlés à l’intelligence artificielle pour les deux dernières. Le gigantesque brocoli d’Eesly a d’ailleurs fait consensus auprès des organisateurs et est devenu l’emblème de cette édition du festival.
Au rez-de-chaussée, à côté de la sélection arlésienne, un segment est dédié à la curation, discipline particulièrement mise en avant tout au long du festival. Sur les cinq installations, Metal Odyssey, qui parle du parcours thérapeutique des patients et de leurs proches, a particulièrement retenu mon attention. J’étais ravie, d’ailleurs, de la voir récompensée par le prix d’honneur de cette catégorie, le « Jimei × Arles Curatorial Award for Photography and Moving Image », un prix qui vise à découvrir et encourager les jeunes curateurs et chercheurs chinois.
Se répartissent ensuite, entre le premier et le deuxième étage, des espaces investis par les partenaires commerciaux du festival, comme Vivo + et Fujifilm, ainsi que huit expositions qui concourent au « Discovery Award Jimei × Arles », prix phare de l’événement puisqu’il donne lieu à un chèque d’une valeur de 100 000 RMB (13 000 euros environ) et à une présentation à Arles l’année suivante. Coup de cœur pour le travail d’Alison Chen, artiste sino-américaine, avec son exposition A Hole to the Water, curatée par Zhou Yichen et Gan Yingying. À travers la photographie, la vidéo et la performance, elle explore les liens intergénérationnels qui l’unissent aux femmes de sa famille, entre transmission, héritage, traumatisme et apprentissage de la maternité, étant elle-même devenue mère de deux enfants.
Quelques salles plus loin, la touchante exposition Strangers de Jia Yu, curatée par Wang Paopao, m’interpelle. Professeur d’art dans une école élémentaire, le photographe documente depuis 2003 les conditions de vie de familles nomades tibétaines. En 2020, il décide de retrouver les personnes qu’il avait photographiées des années plus tôt pour leur offrir ces clichés. Un film retrace cette quête souvent complexe, aidée par des locaux qui reconnaissent des voisins, des enfants, des parents décédés, ou parfois eux-mêmes. Les retrouvailles émouvantes replongent ces familles dans leurs souvenirs, à une époque où le téléphone n’existait pas, et leur permettent de conserver une trace concrète de leur histoire.
Un travail simple, tendre, honnête qui a convaincu le jury du Discovery Award Jimei × Arles 2024. Cristina de Middel, directrice de Magnum Photos, résumait leur choix en ces termes : « À une époque où l’avenir des images est incertain, ce projet ramène la photographie à son essence : nous aider à comprendre qui nous sommes et préserver la mémoire de ce que nous avons été. Il affirme la photographie comme un outil de connexion et de réflexion, nous invitant à aller au-delà de l’esthétique pour en considérer l’impact plus profond. Ce projet reflète également la responsabilité des photographes envers leurs sujets, abordant ces relations avec humilité et intégrité, tout en soulignant l’importance de l’attention et de la prévenance dans la représentation des autres. »
Pour découvrir cette exposition de vos propres yeux, rendez-vous à Arles l’année prochaine !
Un autre lieu emblématique du festival est le Three Shadows Photography Art Centre, une institution chinoise dédiée à la photographie contemporaine. Pour y accéder, il suffit de sortir de l’enceinte principale et de marcher quelques mètres. L’intérieur est spacieux, moderne, blanc, minimaliste.
Durant la semaine d’ouverture, cet espace accueille des ateliers thématiques et des conférences avec des invités variés. Parmi les moments forts, une discussion a réuni RongRong, co-fondateur du Three Shadows Photography Art Centre, Zhong Weixing, photographe chinois, Andrew Maerkle, écrivain et éditeur basé à Tokyo, notamment pour Art Week Tokyo, ainsi que Christophe Wiesner. Le débat, autour du thème central « Les images comme des ponts : l’art, la communauté et la ville », a abordé des questions essentielles : comment les festivals peuvent-ils évoluer face à la digitalisation croissante ? Comment activer une communauté et dynamiser le développement urbain grâce à un événement culturel ? À l’étage, deux magnifiques expositions rendent hommage aux œuvres des photographes japonais et chinois Masahisa Fukase et Luo Bonian.
Pour la deuxième année consécutive, un parcours hors les murs a également été conçu. Avec cette initiative, le festival retrouve davantage l’esprit arlésien, mêlant déambulation urbaine et découverte des infrastructures locales. En collaboration avec des lieux clés tels que le Red Dot Design Museum Xiamen, ou des espaces de vie comme un salon de thé, l’objectif est de renforcer les liens entre la photographie et le patrimoine culturel et sociétal de Xiamen.
Renforcer les liens, tant locaux qu’internationaux. Telle est la mission de ce festival, année après année. La récente nomination de Christophe Wiesner en tant que co-directeur du Jimei × Arles en est un témoignage fort, marquant l’intensification de la collaboration entre les deux événements. À cette occasion, il a partagé sa vision : « L’art et la création jouent un rôle central dans la compréhension du monde. Des échanges comme celui-ci contribuent à bâtir un avenir commun, où la photographie devient un moyen de dialogue et d’unité. »
Rendez-vous l’année prochaine !
Jimei x Arles International Photo Festival 2024
Jimei Art Centre
Bullding 12, XInglinwan Business Contro, Jimoi District, Xiamen
www.rencontres-arles.com/fr/jimei-x-arles-2024international-photo-festival
Three Shadows Photography Art Centre
3F, Bullding 2, Xinglinwan Business
Contro, Jimei District, Xiamen
www.threeshadows.cn/cn