C’est à la Tate Modern que Jiawen Hu découvre par hasard une photographie de Luo Bonian, un photographe chinois peu connu du grand public. Elle remarque que l’œuvre provient du Three Shadows Photography Art Center, un centre d’art créé à Pékin en 2007.
Alors en fin d’études, elle décide de postuler et est embauchée peu de temps après. Aujourd’hui directrice adjointe de l’institution, cette exposition « Glinting Light : An Exploration of Luo Bonian’s Photography », pour laquelle elle assure la curation, est la toute première consacrée à l’œuvre de Luo Bonian en Chine. Particulièrement significative pour Jiawen Hu, elle l’est tout aussi pour la culture et l’histoire chinoises.
En effet, l’œuvre de Luo Bonian est un témoignage riche sur la société, l’art et la culture de la Chine républicaine. Comme le souligne Stéphanie H. Tung, spécialiste de la photographie chinoise : « Une archive de cette ampleur – près de trois cents tirages argentiques vintage et un nombre encore plus important de négatifs de l’époque – provenant d’un photographe individuel de la Chine du début du XXe siècle est extrêmement rare, car la plupart des matériaux photographiques ont été considérés comme bourgeois et détruits ou cachés après la Révolution culturelle de 1949. » C’est notamment grâce aux efforts de Jin Youming, son arrière-petit-fils, lui aussi banquier et photographe amateur, que les archives de Luo Bonian furent redécouvertes et partagées, rendant ainsi justice à son rôle pionnier.
L’exposition, qui se tient au premier étage du Three Shadows à Xiamen, met en lumière les moments forts de sa carrière entre 1930 et 1940 et ses différents thèmes de prédilection : paysages, collages et natures mortes. Sujets à première vue anodins, ils le relient aux traditions picturales chinoises et aux courants des avant-gardes modernistes occidentales ; des références devenues absolument taboues pendant la Révolution culturelle. On découvre également, avec émotion, les albums personnels, les revues, les tirages d’époque ou encore les pochettes dans lesquelles il glissait ses négatifs.
Né en 1911, dans une famille de fonctionnaires locaux à Hangzhou, Luo entame une carrière de comptable à la Banque commerciale locale, un secteur alors en plein essor. C’est durant cette même année qu’il découvre la photographie, un loisir coûteux, prisé par les classes moyennes instruites et aisées.
Pour son travail, Luo Bonian a vécu et travaillé dans plusieurs villes, affecté dans différentes succursales de la Banque de Chine : Pékin, Chongqing, Hangzhou, Hong Kong, Shanghai. C’est notamment dans ces deux dernières, à l’environnement cosmopolite plus prononcé, qu’il accède à des publications internationales telles que Das Deutsche Lichtbild et Pictorial Photographers of America. Cet accès direct aux nouveautés photographiques européennes et américaines influencera profondément son style, lui conférant une esthétique unique et avant-gardiste pour l’époque.
Il consacre la majeure partie de son temps libre à la photographie et s’inscrit rapidement dans le réseau des photographes amateurs, exposant ses œuvres dans des magazines tels que Fei Ying, Chinese Photography Magazine et Kodak Magazine. L’année 1937 marque un tournant dans sa carrière photographique avec la plus importante exposition de sa vie, intitulée ‘Amitié’, organisée à Shanghai et dont l’inscription calligraphique fut réalisée par le célèbre écrivain Yu Dafu, signe des liens qu’il entretient avec les figures littéraires, artistiques et politiques de la République de Chine.
Plus que tout, Luo Bonian aime expérimenter. Ses compositions abstraites et ses natures mortes témoignent d’un intérêt pour l’exploration des formes, des ombres et des jeux de lumière. Dans ses collages, Luo reconfigure des éléments de la vie quotidienne tels que des nervures de plantes, des briques de marches et des grilles de fer, soigneusement sélectionnés à partir de détails de la vie quotidienne. « Sa technique est ingénieuse, utilisant une méthode semblable à un kaléidoscope : il imprime quatre photos de chaque côté d’un seul négatif, en extrait les points focaux clés et les recadre en huit triangles équilatéraux. Ces triangles, astucieusement appariés et symétriquement alignés, créent une scène à la fois étrange et harmonieuse. Ses natures mortes font écho à l’exploration de l’ombre et de la lumière du photographe allemand de la Nouvelle Objectivité Albert Renger-Patzsch, ouvrant ainsi un nouveau domaine visuel de l’art contemporain. » explique-t-on dans l’exposition.
La guerre sino-japonaise éclate en 1937 et, malgré ce climat instable, Luo continue à photographier, se concentrant sur des natures mortes et des œuvres expérimentales réalisées en intérieur. La photographie du chou coupé en deux ou encore celle de la statue d’un couple enlacé posée sur un buffet en témoignent. Cependant, après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, il cesse de prendre des photographies, faute de ressources et face aux changements politiques. De retour à Hangzhou, à l’abri des projecteurs et relativement isolé des violences et des intrigues politiques, il parvient à échapper aux destructions des campagnes de la Révolution culturelle et ainsi à garder ses tirages et négatifs cachés dans des boîtes et des albums.
Une belle exposition qui montre le parcours d’un individu dont le talent, la persévérance et le travail insufflent à ceux qui contemplent ses clichés un message d’espoir et une nouvelle énergie créative.
Jimei x Arles International Photo Festival 2024
Jimei Art Centre
Bullding 12, XInglinwan Business Contro, Jimoi District, Xiamen
www.rencontres-arles.com/fr/jimei-x-arles-2024international-photo-festival
Three Shadows Photography Art Centre
3F, Bullding 2, Xinglinwan Business
Contro, Jimei District, Xiamen