L’édition du New York Times du 12 septembre 2001 donne une leçon de journalisme à tout rédacteur ou photographe. Les pages du journal, 24h après la tragédie, sont d’une richesse exceptionnelle : multitude de témoignages, analyses critiques, croquis explicatifs, prévisions politiques. La photographie y a, comme toujours, joué un rôle majeur. Jim Wilson, « assignment editor » ce jour là, revient sur sa journée et la capacité de réaction des équipes du grand quotidien.
Où étiez-vous le 11-Septembre à 8h45 ?
Jim Wilson : J’étais dans la salle de presse du New York Times avec mon collègue Jeremiah Bogert. Nous étions les deux éditeurs photo présents au journal au moment de l’attaque. C’était un matin assez chargé, un jour d’élection à New York. Nous avions six ou sept photographes en postes en ville pour couvrir cet évènement. C’était plus qu’à l’accoutumée. Au moment où le premier avion a percuté la première tour, nous n’avions ni télévision ni radio allumée. C’est au milieu de tous les appels de mes photographes que j’ai reçu l’alerte, par un reporter présent à downtown et avec qui nous travaillions souvent : Will Rashbaum. Il a décrit la scène : l’avion, l’explosion, puis la fumée. Ce jour était clair et ensoleillé, « l’un des 10 plus beaux jours de l’année » selon la presse.
Lorsque la nouvelle est arrivée, quelle a été la réaction des journalistes dans les locaux du New York Times?
Jim Wilson : Nous avons allumé le poste. Bien sûr, au bureau de la photographie, nous étions stupéfiés par les images que nous découvrions. Puis, nous nous sommes tout de suite concertés pour savoir quel photographe était le plus proche du World Trade Center. Je savais que nous en avions un dans un bureau de vote très proche. Tout le monde s’est mis à passer des coups de téléphone. Nos photographes sur le terrain pour les élections se sont naturellement dirigés vers l’origine du nuage de fumée qui commençait à se propager. Nous avons néanmoins commencé à imaginer différentes perspectives. J’ai appelé, Kelly Gunther, un de mes photographes freelance basé en face à Brooklyn, pour être sûr qu’elle se tenait sur la promenade près du pont. Elle a ensuite pu prendre une série de photos du deuxième avion.
Lorsque vos photographes se sont retrouvés au pied des tours, comment avez-vous géré la situation ?
Jim Wilson : Avant que le réseau téléphonique soit saturé, nous étions en contact avec certains d’entre eux, soit par mobile soit par bipeur. Nous devions, toujours dans l’optique d’une variété d’images, leur dire à quel endroit se poster. Après quelques minutes, la communication est devenue plus difficile.
Aucun de vos photographes n’est entré dans les tours ?
Jim Wilson : Non. Angel Franco et Ruth Fremson étaient simplement près des gratte-ciels.
Avez-vous bougé de votre bureau durant la matinée ?
Jim Wilson : Non. J’étais trop obnubilé par une question. Comment un avion, par un tel beau temps, peut-il se crasher dans une tour par accident ?
Quand avez-vous reçu les premières images ?
Jim Wilson : Aux alentours de 10h. Il n’était alors pas évident de rapatrier nos photographes dans le bureau du New York Times. Certaines rues étaient déjà bloquées par la police. Par ailleurs, un grand nombre de personnes, étrangères au monde photojournalistique, nous ont appelé ou ont débarqué dans les locaux du journal pour nous proposer leurs photographies. Tous avaient des images intéressantes, de points de vue très variés.
Y avait-il du numérique dans vos images ?
Jim Wilson : Il me semble que toutes celles utilisées provenaient encore d’appareils argentiques.
Pour l’édition du New York Times du 12-Septembre, quelles difficultés avez-vous rencontré pour sélectionner les images à éditer ?
Jim Wilson : L’une des difficultés principale était de pouvoir physiquement s’y retrouver. Le nombre d’images était conséquent. Il a fallu faire des priorités pour déterminer quelles photos nous devions montrer en premier. L’un de nos photographes, Chang Lee, avait photographié ce qui allait devenir une icône : la tour nord s’effondrant et formant comme un champignon. Avec tous les clics qu’il avait effectué, il ne se souvenait même plus de cette image. Il régnait, comme on peut l’imaginer, une certaine confusion.
Qu’est ce qui vous a alors guidé pour établir une sélection ?
Jim Wilson : J’ai été photographe et homme de presse toute ma vie. Ce qui a pu me guider, c’est ce sentiment particulier de vivre l’Histoire. Cet indescriptible émerveillement, cet étonnement absolu devant l’ampleur et la portée de l’événement. Mais il ne fallait pas perdre de vue que nous redoutions l’avenir et une possible autre attaque dans le métro par exemple. Au final, il fallait, comme toujours, livrer l’histoire la plus complète possible.
A ce moment, ne s’interroge-t-on pas sur ce que l’on peut montrer et ne pas montrer ?
Jim Wilson : Non. On sait qu’on doit pouvoir tout montrer, au risque de bouleverser quelques personnes. Il y a pourtant eu une discussion au sujet de la couverture et la possibilité de choisir ou non l’image de cette personne sautant d’une tour, signée Richard Drew. Bien sûr, pendant nos réunions, l’Histoire continuait de s’écrire et nous avons sans arrêt consulté les nouvelles images. Nous avons aussi discuté des différentes deadlines que nous avions et des changements auxquels il fallait constamment penser. Il était déjà clair qu’une place très importante allait être allouée aux images.
L’édition du New York Times au lendemain du 11-Septembre est d’une grande richesse journalistique. Pouvez-vous décrire l’activité au journal cet après-midi là ?
Jim Wilson : La salle que nous avons utilisée pour les décisions importantes était remplie d’éditeurs et de supérieurs. C’était littéralement une ruche d’activité et de pensées. Il y avait trente ou quarante personnes qui échangeaient leurs idées devant les futures pages affichées au mur. J’ai personnellement informé de futures images que nous pouvions avoir compte tenu de la position de mes photographes. Et bien entendu, les images arrivaient encore, d’un grand nombre de contributeurs qui ne travaillaient généralement pas dans la presse. Ils amenaient leurs rouleaux de film. Nous avons discuté avec eux, parlé de leurs images, tenté de savoir de quelle nature elle étaient, d’où elles étaient prises, décidé de les incorporer ou pas. Nous avons étudié nombre d’entre elles et avions en même temps un œil rivé sur celles des agences de presse qui arrivaient petit à petit. C’était un avant goût de ce que l’on peut voir aujourd’hui avec les photos de Smartphones distribuées aux journaux et de ce qu’on appelle le journalisme participatif.
Quelles difficultés imaginez-vous si cet événement se produisait aujourd’hui ?
Jim Wilson : A coup sûr, nous serions submergés d’images provenant de téléphone portables. Surtout dans une ville comme New York ou chacun possède ce type d’appareil. Il faudrait être très organisé pour ne pas laisser passer une bonne photographie.
Qu’est ce que le 11-Septembre a pu éventuellement changer dans la couverture de tragédies de cet ordre ?
Jim Wilson : Je dois dire que, tristement, j’ai l’impression que nous nous sommes habitués à ce genre d’évènements.
Propos recueillis par Jonas Cuénin
Nous venons de recevoir ces précisions de Philip Gefter:
« Margaret O’Connor était « Chief Picture Editor » et j’étais « Page One Picture Editor », c’est-à-dire le responsable des photos de la première page. C’est moi qui ait sélectionné cette image des tours en feu au moment de l’impact, photo de Steve Ludlum devenue une icône. »