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Jim Lee : « Anna Wintour est très timide et discrète, mais sur le plan créatif, c’est une aventurière »

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Pour Jim Lee, raconter des histoires a toujours été au cœur de son travail et de sa vie. Lee est né en 1945 de parents qui étaient tous deux des agents du MI5. Autant dire que c’était un début dans la vie qui était hors des sentiers battus. Dans le Londres des années 60, il commence photographier des groupes comme The Who, The Beatles et The Rolling Stones. Son portfolio et sa réputation se sont étoffés et Lee a vite été réclamé en tant que photographe de mode pour travailler avec des personnalités comme la toute jeune rédactrice en chef de Vogue, Anna Wintour, et collaborer avec des créateurs influents comme Yves Saint Laurent et Gianni Versace. Aujourd’hui, Lee est un photographe d’art établi, mais il collabore encore sur bien des projets de mode ou de publicité, comme la couverture des défilés d’Alexander McQueen et Zandra Rhodes. Les images de Lee, à la fois surréalistes et filmiques, souvent osées, créent des compositions très vivantes qui obligent le spectateur à aller « au-delà du cadre ».

Vous n’aviez pas le rêve de devenir photographe, vous étiez davantage intéressé par les images en mouvement, et vous avez d’ailleurs beaucoup travaillé pour le cinéma, alors pourquoi avez-vous opté pour ce médium ?

Je souhaitais être peintre, donc je suis allé en école d’art, mais je n’étais pas assez adroit. Mon grand-père était très bon peintre, et ma mère aussi, mais je n’ai pas hérité de ce talent. J’ai commencé à regarder les films d’auteur français, par exemple Cybèle ou les Dimanches à Ville d’Avray (1962). J’y voyais des ramifications de ma propre vie, et leur qualité émotionnelle m’a frappé. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de devenir réalisateur, mais je ne savais pas comment m’y prendre. La photographie m’a semblé un bon moyen d’y parvenir. C’est la raison pour laquelle mes premières photos ressemblent plutôt à des photos de tournage. C’était un plaidoyer pour entrer dans le métier.

Votre carrière en tant que photographe de mode s’est développée dans les années 60, au premier plan d’une nouvelle culture de l’industrie créative rassemblant la mode, les médias, l’art. En quoi cette industrie a-t-elle changé aujourd’hui ? Vers quelle direction se dirige-t-on actuellement à votre avis ?

Aujourd’hui cette industrie représente un marché beaucoup plus grand, et rationalisé. Il est davantage contrôlé par les clients que par les créatifs. À mon époque, dans les années 60, les photographes étaient tenus en haute estime, et s’ils se montraient créatifs on leur donnait l’occasion de s’exprimer. Aujourd’hui, l’industrie de la mode est à proprement parler une industrie, régie par l’argent plus que par l’imagination. Ce qui s’y passe ne m’intéresse pas le moins du monde.

Dans votre livre, Arrested, vous dites « J’aime créer des images frappantes, voire choquantes, qui forcent à lire l’histoire derrière la photo. Des images qui poussent à voir “au-delà du cadre”. » C’est un fait, vos images racontent des histoires. Pourquoi cet aspect est-il si important pour vous ?

Je crois que l’on maximise le bénéfice d’une image en la sortant de son cadre . Je veux que les gens imaginent que l’histoire continue au-delà des bords de la photo. Quand on a un espace donné, plus on l’enrichit, plus on peut raconter en une seule image. Si quelqu’un regarde l’image à deux reprises, il faut que ça vaille le coup. J’essaye de voir comment introduire différents éléments dans une même image, sans la rendre chargée ou compliquée. D’abord je réfléchis aux raisons pour réaliser l’image. Puis je pense : comment ajouter des couches de sens ? Comment étendre sa portée psychologique ? Comment recréer une profondeur de vue ? Comment créer un éclairage qui donne une atmosphère ? Et le graphisme dans tout ça ? J’essaie d’aboutir quelque chose qu’on peut contempler, analyser, mettre l’épreuve, quelque chose qui a du mérite. Sinon, c’est une perte de temps, pour moi comme pour les autres.

Vous avez travaillé avec Anna Wintour longtemps avant qu’elle ne devienne rédactrice en chef de Vogue. À l’époque, est-ce que vous vous doutiez qu’elle était promise à un grand avenir dans le domaine de la mode ?

C’était quelqu’un de très timide et discret, mais sur le plan créatif, c’était une aventurière, avec un style et un œil exceptionnels.

Les récits de vos histoires sont forts, captivants, complexes. D’où vous viennent les idées pour ces images ? Est-ce que vous travaillez comme les réalisateurs, avec un story-board ?

Le contenu à proprement parler doit venir de ma vie, d’une manière ou d’une autre. Du besoin de m’exprimer, au point que je dois sortir mon appareil photo pour le dire. Mes idées sont toujours un commentaire personnel, social ou politique, parce que ce que je recherche avant tout, c’est faire réfléchir les gens. Je veux que les gens se demandent pourquoi j’ai fait cette image.

En ce qui concerne les story-boards, j’en fais dans ma tête. Parfois je dessine des bonshommes bâtons pour expliquer quelque chose aux autres. Mais j’essaie de garder les idées dans ma tête avant de faire les prises de vue, pour conserver une certaine spontanéité. J’ai l’impression que de cette manière l’image rend mieux.

Propos recueillis par Sara Tasini

Cette interview fait partie d’une série proposée par la Holden Luntz Gallery à Palm Beach en Floride.

Holden Luntz Gallery
332 Worth Ave
Palm Beach, FL 33480
États-Unis

http://www.holdenluntz.com/

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