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Jeanloup Sieff à Stockholm

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Le Moderna Museet de Stockholm organise une rétrospective de l’œuvre du photographe français Jeanloup Sieff (1933–2000). Nous vous proposons deux textes, l’un dans la dans la version française, signé Nathalie Cattaruzza, journaliste. L’autre, dans la version anglaise de La Lettre signé Anna Tellgren, conservatrice et commissaire de l’exposition.

Pour la première fois depuis longtemps, je regarde Demain le temps sera plus vieux, un livre grand format qui rassemble 40 années d’images de Jeanloup Sieff des années 50 jusqu’à la fin des années 80. La dernière fois que j’ai feuilleté ce livre, c’était il y a plus de 10 ans. Pierre angulaire de la bibliothèque d’un jeune homme idéaliste qui se rêvait en photographe, la monographie de Sieff côtoyait les livres d’Irving Penn, Richard Avedon, Helmut Newton, Robert Mapplethorpe et du français Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Guy Bourdin. Comme beaucoup d’apprentis photographes qui ont eu vingt ans dans les années 80, c’est à Jeanloup Sieff que ce jeune homme voulait ressembler avant de passer à autre chose, avec la trentaine.

L’exemplaire que j’ai aujourd’hui entre les mains appartient à une amie. Il y a une dédicace sur la page de garde: « Moi aussi, je regarde souvent tes yeux… ». Des mots qui parlent de visages immortalisés et d’amour. Les images de Jeanloup Sieff inspireraient-elles l’amour? Un amour courtois, caressant, doucement sophistiqué. Le dernier et fragile rempart du siècle avant le déferlement du porno chic. Des images qui sont le souvenir de l’amour plus que l’amour lui-même.

Même si ce « dilettante-travailleur » comme il aimait à se définir, semble s’être partagé équitablement entre les paysages, la danse, la mode, et le reportage dans ses plus jeunes années, on a tendance à ne retenir de ces images, exclusivement en noir et blanc et souvent prises au grand angle, que les nus sensuels et paresseux et les portraits séduisant de jeunes femmes lascives.

Jeanloup Sieff était un photographe populaire qui publiait dans la presse magazine, travaillait pour la publicité et déclarait tout net que la raison principale de sa pratique de la photographie était la recherche du plaisir.

Peu lui importait les catégories et la séparation habituellement marquée entre photos de commande et photos personnelles. Tout était travail personnel chez lui: « être payé pour des photos que de toute façon j’aurai faites est la seule forme d’aliénation acceptable » écrit-il avec humour dans sa monographie.

Je suis assise en face de Barbara Sieff, dans le studio, ancien atelier d’artiste, de leur appartement. Il y a des boîtes photos, des piles de livres, des plantes qui mettront encore très longtemps avant d’atteindre le plafond. Je m’amuse à mesurer mentalement la hauteur sous la verrière. « C’est très haut, presque comme une église. Et inchauffable! » me dit Barbara. Dehors, il neige. Elle parle de son mari comme d’un homme charismatique, parlant très doucement ce qui obligeait les autres à se taire pour l’écouter. Elle insiste sur ses yeux de chat, un animal domestique qu’il affectionnait particulièrement. Il faut croire qu’il avait aussi sa souplesse pour arriver à fumer comme il le faisait, en passant la main derrière son cou, tout naturellement.

Barbara Sieff manipule avec beaucoup de précaution des mots comme artistes, création, oeuvre. Dans cette famille, on est photographe, le père, la mère et la fille, Sonia ou musicien, le fils, Sacha et non artiste: « On n’est pas artistes, explique Barbara, on fait quelques chose. On est artisan. Ceux sont les autres qui vous font artiste! ». On comprend aussi qu’elle ne veut pas parler pour lui. Jeanloup Sieff recevait et photographiait ses modèle ici, seul ou avec un assistant, toujours le même. « Il aimait beaucoup travailler dans l’intimité, se rappelle Barbara. Il y a toujours une approche sensuelle plutôt qu’amicale dans la rencontre entre le modèle et le photographe ».

Gert Elfering, collectionneur allemand de Sieff disait de lui récemment à l’occasion d’une vente de ses tirages chez Christie’s à Paris : « On voit qu’il aime les femmes et que les femmes l’aiment. Newton n’a aucune interaction avec le modèle, Sieff oui. Vous voyez les yeux, la sensualité »*.

Malgré son obsession mélancolique du temps qui passe, Jeanloup Sieff vivait au jour le jour et ne se préoccupait pas de la postérité. « Quand il était entrain de mourir, raconte Barbara Sieff, il essayait de me convaincre de ne pas m’occuper de ses images. Il m’a dit: Vis! vis! C’est le plus important. Il a raison, quand on est plus là, on s’en fout! Mais c’est quand même bien pour les autres ». Pour les amoureux de l’amour et des paysages solitaires aux ciels chargés.

Nathalie Cattaruzza
*cité par Michel Guerrin dans Le Temps, édition numérique du 29 juin 2010

Jusqu’au 22 mai
Moderna Museet
Skeppsholmen, Stockholm

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