Jean-Pierre Laffont a été nommé au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur, la cérémonie a eu lieu au Consulat de France à New York le 13 novembre. Voici le discours de Jean-François Leroy suivit des remerciements de Jean-Pierre.
Bonsoir Mesdames et Messieurs,
Je suis très ému d’être parmi vous ce soir, dans un lieu aussi prestigieux que le consulat de France de New York. Je vais être un peu long. Mais cela ne m’arrive pas tous les jours de pouvoir remettre une décoration à l’un de mes potes… Cher Jean-Pierre, je sais que tu détestes que l’on parle de toi, mais là, tu n’as pas le choix, il va falloir que tu m’écoutes pendant quelques minutes…
Je tiens d’abord à remercier M. Jeremie Roberts, le consul général et M. Damien Laban, le consul général adjoint de nous avoir mis leurs locaux à disposition pour honorer Jean-Pierre Laffont.
Si on m’avait dit un jour que je viendrais à New York pour remettre une légion d’honneur au consulat de France, je ne l’aurais jamais cru !
Donc, on me demande d’honorer Jean-Pierre … Pas facile ! Et bien sûr, pour parler de Jean-Pierre, je vais être obligé de parler d’Eliane. Un couple qui ne fait qu’un !
Il faut d’abord que je fasse un petit retour en arrière. Nous sommes en décembre 1988. Mon ami Yann Arthus-Bertrand m’appelle, très énervé. La raison de son énervement ? Il vient d’apprendre que Rick Smolan et David Cohen ont le projet de poursuivre leur collection « A Day In the Life » en France.
Yann me dit que ce n’est pas possible de les laisser faire ça. La France a offert la photographie au monde, à travers Louis Arago. Mais la marque « A day in the Life » est protégée. Nous allons donc faire « 3 jours en France » ! Avec Yann, nous contactons 100 Photographes. Je ne connais alors Jean-Pierre qu’à travers ses photos extraordinaires et surtout son inoubliable sujet sur les enfants au travail.
À ce moment-là, je ne l’ai encore jamais rencontré. Un vendredi soir, à l’époque, il y avait des pots chaque vendredi soir à l’agence Sygma, on me présente Jean-Pierre et Eliane. Jean-Pierre fait bien évidemment partie de notre projet. Nous discutons avec passion et enthousiasme. Une demi-heure après, nous sommes en train de dîner dans une brasserie à côté de l’agence. Je sors de là en me disant que j’ai deux nouveaux amis ! On a parfois ce sentiment, mais il ne se confirme que rarement… Et bien ce soir là, my feeling was good!
Oui, j’avais deux amis. Et ils ne m’ont jamais quitté !
Un an plus tard, je débarque à New York, en ne connaissant presque personne. Je viens de créer Visa pour l’Image à Perpignan. Jean-Pierre et Eliane me reçoivent chez eux pendant plus de trois semaines, et me présentent toutes les personnes importantes de la profession. Vous imaginez, trois semaines pour un heavy smoker comme moi qui n’a pas le droit de fumer dans leur appartement ? Alors, je fume sous la hotte de leur cuisine…
Mais je n’oublierai jamais ce que cela a représenté pour la reconnaissance du festival que j’avais lancé un an plus tôt.
Alors, d’abord, je vais vous révéler quelque chose. Une histoire vraiment très intime. Pour ceux qui ont eu le privilège d’être invités chez Jean-Pierre et Eliane, ils auront tous noté qu’Eliane n’a pas le droit de mettre les pieds dans la cuisine, à part pour prendre une bouteille d’eau minérale dans le réfrigérateur… Je me suis laissé dire que lors de l’un des premiers petits déjeuners au début de leur relation, Jean-Pierre pendant qu’il prenait sa douche avait demandé à Eliane de lui faire des œufs. En sortant de la douche, il entend un bruit bizarre. Eliane avait mis les œufs dans la poêle, sans les casser. Depuis Jean-Pierre lui a interdit l’accès à la cuisine !
Je ne vais pas vous refaire la page Wikipédia de Laffont. J’ai déjà évoqué ses enfants au travail… Je pourrais vous parler également de son scoop international, quand il retrouve l’équipe de rugby qui s’était crashée dans les Andes, et qui avait, pour survivre, mangé les corps des victimes.
Il faudrait aussi parler de toutes ses photos aux États-Unis qui ont fait de lui le plus américain des photographes français avec son livre « Tumultueuse Amérique le paradis d’un Photographe ». Inoubliable. Indispensable ! Ses photos de gangs, du match avec Mohamed Ali qui a inspiré le film American gangster, c’est lui aussi ! Ses minorités, ses mômes des rues, ses paysans, ses scènes de la vie quotidienne, vous avez tous ce livre, c’est un must !
En 1996, je propose à Jean-Pierre une rétrospective de son travail. Je craque sur la photo d’un enfant soldat en Angola. Je lui dis que je veux en faire mon affiche… Je m’attendais à ce qu’il me remercie, pas du tout ! Le négatif original avait été perdu. On a scanné l’un de ses tirages. Cette affiche a été l’une des plus Successful de l’histoire de Visa! Avec toute sa gratitude, Jean-Pierre ne m’a jamais dit qu’il en avait été fier ! Mais je sais qu’il l’a été. Jean-Pierre, et toute son humilité…
Il y a une histoire que je ne résiste pas à vous raconter. Jean-Pierre est un maniaque, non, je ne vais pas dire maniaque, mais je veux dire très précis… Il sait tout, pas sur tout, mais sur beaucoup de choses.
Une année, Eliane doit partir à Hong Kong pour je ne sais plus quel prix. Jean-Pierre lui donne une adresse où trouver des piles absolument introuvables ailleurs. Il lui dit, « tu prends le bateau, tu traverses le port. Tu prends la deuxième rue à gauche, la troisième à droite, tu vas dans telle boutique. Tu demandes la pile XZWZ43. Ils te donneront une pile qui n’est pas celle que je cherche. Tu lui montres le modèle que je t’ai donné ». C’est exactement ce qu’il se passe… Eliane dit : « non ce n’est pas ce que je cherche ! » Et le vendeur lui dit : « Ah vous êtes la femme de Jean-Pierre Laffont ? ». Je vous jure, l’histoire est authentique!
Quand Jean-Pierre avait été hospitalisé à l’hôpital d’Annecy parce qu’il avait un Ghislain Barré, j’étais allé rejoindre Éliane. Les médecins m’avaient conseillé de lui dire adieu.
Il est vrai que Jean-Pierre me reconnaissait, mais il se souvenait de moi pendant nos combats dans les Aurès… Là, je me suis dit que Jean-Pierre était parti très loin…
Je ne pensais jamais le retrouver !
Les bouteilles de cognac que nous avions avalées avec Eliane suffisaient à montrer notre inquiétude.
Après, il y a eu les années Mac. Jean-Pierre m’appelait parce qu’il avait découvert une nouvelle fonction sur son ordinateur. Des heures et des heures passées à échanger nos impressions sur tel ou tel nouveau système de nos ordinateurs respectifs.
Un jour, Jean-Pierre arrive en France. Il est à l’aéroport, et la compagnie aérienne à égaré l’un de ses sacs. Il m’appelle et vient à la maison et commence à harceler le service des bagages en les appelant toutes les deux minutes… Mais il a je ne sais plus quelle urgence chez son frère en Savoie et doit prendre un train. Il me demande donc de récupérer son sac et de lui faire parvenir chez son frère.
Avec toute ma naïveté, j’imagine un sac normal comme le vôtre ou le mien. En fait, le lendemain on me livre un sac énorme qui pèse 45 ou 50 kg . Il faut que vous sachiez que Jean-Pierre ne se déplace qu’avec son matériel essentiel. Il peut démonter ou remonter un char d’assault, réparer une cuisinière, changer l’alternateur d’une voiture, installer un chauffe-eau, déboucher des toilettes. Rien ne lui échappe ! Il peut tout faire avec son matériel. Inutile de vous préciser qu’il ne voyage jamais sans tout cela…
Jean~Pierre et Eliane m’ont toujours encouragé. Le succès de Visa, ils y sont pour beaucoup…
Laissez-moi vous raconter une histoire qui n’a rien à voir avec Jean-Pierre mais qui a rapport avec Eliane. Elle venait d’avoir sa nationalité américaine, et donc, c’est la loi, elle n’avait plus de passeport pendant plusieurs mois. Elle m’en parle, parce que Jean-Pierre a une exposition en Chine et qu’il doit absolument y aller. J’ai écrit une lettre, excusez-moi Monsieur le consul, dans laquelle je disais que si Eliane ne pouvait pas venir à une réunion bidon que je programmais à Paris, je la virais, en tant que consultante spéciale pour les États-Unis… et bien croyez-moi, elle a eu son passeport, et elle a pu accompagner Jean-Pierre pour son exposition chinoise !
Pardon, Monsieur le consul, j’ai menti délibérément aux autorités françaises. J’espère que vous ne m’en voudrez pas !
Et puis, oh ce n’est pas bien méchant, mais je dois vous faire un aveu, avec Eliane, de temps en temps, nous aimons bien être un peu langue de pute et dire du mal de gens que nous n’aimons pas… Là, systématiquement, Jean-Pierre nous abandonne parce qu’il n’aime dire du mal de personne… Sa grande gentillesse !
Bref, Jean-Pierre, tu es mon ami, tu es mon frère, tu es mon frangin, tu es mon pote, tu ne pourras jamais savoir à quel point je t’aime et je t’admire… Alors, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je te fais chevalier de la Légion d’honneur.
Jean-Francois Leroy, NYC, le 13 novembre 2023
Monsieur le Consul, Mesdames et Messieurs, amis et amies,
Je tiens à adresser mes sincères remerciements à Jérémie Robert, notre Consul de France à New York. Jean-François, mon cher ami qui depuis près de 40 ans, a été mon soutien. A Olivier Laurent pour la traduction du texte de Jean Francois. A ma fille Stephanie et à Eliane mon épouse, ma partenaire, mon roc a qui appartient cette médaille.
Jean-Pierre Laffont, NYC, le 13 novembre 2023