Jean-Pierre et Eliane Laffont sont arrivés au milieu des années 60 aux USA. En 1969, ils ouvrent le bureau de Gamma, puis celui de Sygma en 1973 à la suite de la scission. Ils viennent de publier chez Glitterati Incorporated un livre intitulé Jean-Pierre Laffont, le paradis d’un photographe : tumultueuse Amérique 1960-1990. Le livre est l’un des évènements de cette rentrée. Il sera présenté en projection à Visa pour l’Image. Eliane nous a donné cet extrait, qu’elle a écrit pour l’épilogue:
C’est dans l’exubérance des années 60 que Jean-Pierre commence sa vie de photojournaliste. Une agence “nouvelle vague” a fait son apparition en France en 1967 et va révolutionner la façon de travailler des photographes : Gamma, dont Jean-Pierre et moi ouvriront le bureau aux Etats-Unis en 1969. Puis Sygma, fondée en 1973 avec nos partenaires français, connaîtra également un succès immense. Les deux agences domineront le marché de l’image journalistique, et une nouvelle génération de reporters-photographes à la conquête du monde aura la main mise sur la photo d’actualité.
Dans ce nouveau type d’agence, le photographe devient son propre éditeur et conserve le droit de ses images. L’agence prend en charge la moitié de ses frais, distribue ses reportages à travers le monde et lui verse la moitié des revenus des ventes. Ce système, unique à l’époque, marque le début du photojournalisme “à la française”, dont Jean-Pierre en sera l’un des pionniers. Photojournaliste : une profession qui sent l’aventure. Animé par le désir d’être témoin de son temps, Jean-Pierre Laffont est parti à la découverte du monde en toute liberté. Couvrir l’actualité, raconter des histoires, voilà ce qu’il veut faire.
Jean-Pierre aime travailler seul, il fait ses propres itinéraires, choisit ses histoires, construit ses reportages, prend ses rendez-vous, avance ses frais, développe ses films, édite ses photos, écrit ses textes et parfois va même à l’aéroport donner ses films à des passagers pour qu’ils arrivent plus vite, chose infaisable aujourd’hui !
Jean-Pierre n’a jamais travaillé en commande et ne travaille qu’en spéculation. Les besoins du marché n’entrent jamais dans ses décisions de couvrir telle ou telle histoire, et l’aspect financier ne l’intéresse guère. Seul son désir d’informer et de témoigner le motive. Jean-Pierre aime la presse et n’a jamais pensé un instant que son travail pouvait être publié ailleurs que dans des journaux et des magazines.
Les années 1960-1970, tournant majeur dans l’histoire de l’Amérique, marquent également un tournant dans la vie de Jean-Pierre.
L’Amérique est alors en pleine explosion, c’est la génération sex, drugs and rock ‘n’ roll, la naissance du mouvement hippy, les premières parades de la Gay Pride et des féministes, les démonstrations contre la guerre du Vietnam, le scandale du Watergate. New York est une ville sale et dangereuse, la pornographie est en vente libre sur la 42e Rue.
Paradoxalement, cette période dans l’histoire des Etats-Unis pourrait paraître sombre et pourtant un optimisme délirant et une énergie exceptionnelle s’emparent du pays. Le premier homme marche sur la lune, c’est le début de la construction des tours du World Trade Center à Manhattan et le Village vit une renaissance culturelle. La jeunesse américaine descend dans les rues et se déshabille. Les mots paix et amour deviennent le leitmotiv américain.
Libre, passionné, persévérant, curieux de tout, constamment en quête d’histoires, Jean-Pierre va tout photographier : les crises, les faits divers, la politique à la Maison-Blanche et aux Nations unies où tous les dirigeants du monde se rencontrent. Il photographie même les plateaux de cinéma à Hollywood et les stars françaises de passage. Il est heureux. Il pense être entré au paradis des photographes.
Dans les années 80, Jean-Pierre produira son reportage le plus long sur la dépression urbaine et agricole montrant le visage méconnu de l’Amérique, les ouvriers de l’industrie automobile de Detroit condamnés à la soupe populaire, les vieillards atteints par la récession à Miami, la pauvreté des Noirs en Géorgie et, enfin, les plus touchés, les fermiers pendant la grande crise agricole où bon nombre d’entre eux devront abandonner ou hypothéquer leur ferme. Pour ce reportage, Jean-Pierre travaillera pendant environ deux ans dans le Montana, l’Idaho, le Minnesota et le Colorado.
Ces photos pourraient montrer une Amérique sombre et dramatique ; ce n’est pas le cas, le “spirit” américain est là, chaleureux, touchant, généreux, ouvert et innocent. Jean-Pierre raconte son Amérique. Son œil se promène sur ce grand pays qu’il observe, critique et aime. Quand je regarde ses photos, je les trouve à la fois photojournalistiques, poétiques et artistiques.
Reporter ou artiste ? Comme beaucoup de photographes de cette génération, Jean-Pierre ne se prenait pas pour un artiste et pourtant, comme un artiste, il suivait son inspiration. Sensible au contenu ainsi qu’à la forme, il développe son propre style, puissant et cru. C’est avec des photojournalistes comme Jean-Pierre Laffont qu’est né le mythe du grand reporter qui suscitera tant de vocations. Depuis que je connais Jean-Pierre, je suis très émue de constater que son amour pour son métier n’a pas changé. Il pensait que ses photos contribueraient à changer le monde, je peux seulement ajouter qu’elles restent des témoins de la grande aventure de sa vie et de notre vie ensemble.
LIVRE
Jean-Pierre Laffont, le paradis d’un photographe :
tumultueuse Amérique 1960-1990
Glitterati Incorporated
Septembre 2014