L’œuvre de Jean Mounicq a rejoint celle, de Daniel Boudinet, de Marcel Bovis, de Denise Colomb d’André Kertész, de François Kollar, de Thérèse Le Prat, de Roger Parry, de Bruno Réquillart, de Willy Ronis… conservées à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine à Charenton-le-Pont. Tous en ont fait don à l’État. Leurs œuvres, leurs photographies (tirages et négatifs), mais aussi leurs archives sont ainsi à la disposition du public, des étudiants, des historiens. Alors que s’achève le cycle de la photographie argentique, les récentes donations de Jean-François Bauret, Denis Brihat, de Gilles Caron, Yvonne Chevallier, Jacques Dubois, François Le Diascorn, d’André Papillon, de Jean Pottier, Jean-Louis Swiners…, à la Bibliothèque nationale, au musée Nicéphore Niépce, à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine et dans de multiples institutions attestent de l’attention que porte l’État à la photographie et de la diversité des photographes dont le travail témoigne d’une photographie française riche, vivante qu’il faut faire rayonner dans le monde.
Jean Mounicq
Villéographe
Ni règle ni équerre, l’objectif du Leica suffit.
La ville, ses marges et ses lieux d’exception, inscrite dans un dispositif d’attente, de quête, de collecte, de rapt, d’apprivoisement. Alternent les repérages, l’errance, le séquençage des composants, les retours obsessionnels propres à l’organisation minutieuse de découvertes à flanc d’espace dans l’arborescence de rues, passages, chemins, ruelles s’en allant à des couloirs et escaliers, dans l’intimité du quotidien replié sur les jours passés. S’alignent des points d’ancrage au large de l’infini, des havres de perspectives dans la géométrie que signent des architectures vouées à la célébration des pouvoirs régalien et intemporel, aux sempiternelles commémorations, aux reconnaissances tardives. Colonnes en contre-plongée, flèches à l’assaut des nuages, tombeaux erratiques dans des lieux improbables, cénotaphe de poète à l’écart de sa sépulture, bâtiments empesés de grandeur, d’héroïsme et de gloire. Verre, métal, fonte, d’arches en verrières, de palais en passerelles, l’empreinte d’une bourgeoisie triomphante s’impose dans la solitude d’assemblages livrés à l’intransigeance du cadre.
Entre angoisse et jubilation, crainte et enchantement, Jean Mounicq photographie depuis cinquante ans. L’œil est assuré, la mise en place des structures de l’image, immédiate ; la sélection des éléments du décor, drastique. Le mental fait chorus ; main ferme, le doigt obtempère : déclenchement irrévocable. L’attente s’installe. La photographie argentique n’est pas instantanée. Le temps passe ; révélateur, bain arrêt, fixateur font leur office. Surgissent, le dépouillement solaire des colonnes du Parthénon, l’éternité suspendue entre les vestiges de la Voie Appienne, l’ordre minéral des grandes bâtisses élevées aux confins des marées du Mont-Saint-Michel, les esquisses brumeuses des rues londoniennes, le déploiement des places vides dans Venise défardée, les tours de la Défense, ostensoirs de la finance mondialisée.
Paris l’enchanteresse, sillonnée jusqu’à l’usure de son souvenir dans l’haleine des matins d’automne, dans la lumière finissante de soirées estivales. Toute la cohorte des arrondissements convoquée, dénombrée, répertoriée, inventoriée, photographiée de quartier en quartier, de rue en rue, d’immeuble en immeuble. Porches, cours, arrière-cours, villas, halls, jardins intérieurs et ateliers examinés, scrutés, déflorés, scalpés, étiquetés. Sonnette pour le service, sonnette pour les visites, le seizième arrondissement a ses obligations ; écriteaux désuets d’interdictions hors d’âge ; remise d’ébéniste avec sa cargaison de bois en attente d’assemblage ; venelles préservées derrière leurs barrières de verdure et de mauvaises planches ; impasses et culs de sacs pour bicoques ouvrières avant la déferlante des bourgeois bohèmes : Paris retraversé. Jean Mounicq arpenteur, collecteur de lieux, grand metteur en scène d’un territoire recomposé dans l’amoncèlement de photographies examinées, éliminées, sélectionnées, rejetées, réduites au vif du propos pour faire sens.
Paris arborant ses édifices, paré de ses monuments, du Louvre à la Tour Eiffel, dans l’offrande de ses esplanades, jardins et parcs. La coulée verte, comme un regret de voie ferrée, lésine sur ses feuillages. Le Luxembourg campe bancs et chaises dans l’harmonie de ses arbres La Seine traîne le long des quais, submerge les berges de ses eaux, s’étire en un méandre de fleuve citadin. Les colonnades du pont de Bir-Hakeim dressent leurs pattes de grands volatiles écorchés. La fontaine aux Lions de Nubie installe le silence de l’eau à jamais disparue. La ville se fige, révérence à l’ordonnancement des siècles. Paris hanté du seul peuple de ses statues. Gutenberg médite encore face à l’Imprimerie nationale, veilleur du savoir dispersé au vent des pages. Rue de l’Evangile solitaire le Christ en en croix défie pylônes et caténaires des lignes de chemin de fer. Au Luxembourg, la Liberté de Bartholdi éclaire le monde végétal des marronniers, domine l’eau et la pierre au pont de Grenelle. Paris ouvert l’élégance sublime des photographies réunies dans leur unité, Jean Mounicq au faîte de son art.
Paris, Versailles, le Mont Saint-Michel, Rome, Venise, Londres, Madrid, Rhodes, Jean Mounicq ne s’égare pas d’un sujet l’autre ne picore pas ici et là pour caracoler sur l’anecdotique, le typique et autre succédané du remarquable. Le sujet est tenu en laisse. La rigueur sied au propos, impose sa mesure, scelle le style, construit l’œuvre.
Exfiltrés des villes, du travail personnel, cadrés dans l’urgence d’un temps concédé avec parcimonie, les portraits. Commandes toujours renouvelées dans le tohu-bohu de l’information. Injonction de fournir une presse vorace. Jean Mounicq saisit les petits maîtres de l’actualité, les artistes pourvoyeurs d’universel et leurs serviteurs. Joan Miró admonestant on ne sait quelle étoile, Céline goguenard, Simenon sur les traces de quelque crime, André Malraux, œil aux aguets, index d’imperator
Françoise Denoyelle, 2 décembre 2017