Dans les années 80, je naviguais souvent avec les grands skippers du moment, je m’étonnais du peu d’intérêt que les médias portaient aux phares. On commençait à parler d’automatisation, je décidais donc d’effectuer un travail photographique “conservatoire” sur ces bâtiments et les hommes qui les servaient.
Les images spectaculaires que je réalisais lors des tempêtes de 1989 révélèrent un univers méconnu, le succès international qu’elles rencontrèrent montre à quel point ces bâtiments étonnants interrogent nos sens.
Le phare en mer suscite différents émois : l’inquiétude par son exposition aux tempêtes, l’empathie pour la solitude de ses gardiens, le respect pour leurs bâtisseurs de l’extrême. La poésie pour la lumière que le regard cherche la nuit dans la constellation de l’Iroise.
Quand je vole au ras des vagues, mon premier sentiment est l’éblouissement devant tant de beauté, la beauté pure et dépouillée de tout faste artificiel et pourtant si sophistiquée, la beauté violente, stressante, de la lame qui se fracasse contre la roche et qui retient votre souffle, et l’instant d’après, de son ruissellement apaisé qui autorise à nouveau l’inspiration, dans l’espérance inquiète de la suivante. Mon second sentiment est de m’interroger sur l’arrogance de ma position. Avoir le privilège de contempler ce spectacle dans la relative sécurité de la machine alors que sous moi, une mort terrible et magnifique tend ses filets d’écume.
La réponse est là, le prix du privilège, c’est le risque.
Le phare dans sa fonction : bien sur, les phares n’ont pas été construits pour nous faire rêver, pendant plus d’une centaine d’années, ils ont sauvé des vies. Aujourd’hui la technologie les rend moins utiles à la navigation, les gardiens, allumeurs de réverbères des routes océanes, ont subit le sort des vieux métiers, les satellites leur ont fermé les yeux.
« Ils coutent chers et ne servent plus », entend-on. Est-ce que l’Arc de Triomphe sert à quelque-chose ? Est-ce que les cathédrales sont vraiment utiles ? Bien-sûr que oui, leur histoire et l’émotion artistique qu’ils suscitent en nous justifient notre attention matérielle, nous les soignons car c’est eux qui nous guérissent, nous préservent de l’indifférence à l’humanité. Ainsi les phares ont bien une fonction, plus celle de l’efficience technique, celle du spectacle qu’ils nous offrent, du respect auquel ils nous rappellent pour les hommes qui les ont décidés, battis, gardés, pour le services d’autre hommes.
Reste à solutionner l’équation financière. Les pouvoirs publics ont bien pris conscience de l’intérêt de ces œuvres d’art en inscrivant nombre d’entre eux à l’inventaire des monuments historiques. D’établissement de signalisation maritime, ils sont devenus œuvres patrimoniales, ce changement de statut implique un changement de gestion, cette dimension est maintenant prise en compte par l’arrivée du ministère de la Culture, la DRAC Bretagne, et le parc naturel marin d’Iroise à côté de l’administration des phares et balises, démunie dans l’appréhension de ces nouveaux objectifs.
La commission régionale des patrimoines et des sites de Bretagne a elle aussi pris en compte ce besoin en proposant de nouveaux bâtiments au classement. Souhaitons donc bons vents aux phares sous ce nouveau gréement.
Jean Guichard
Jean Guichard, Phares en tempête
Editions Ouest-France
28 €