En 2012, nous publiions un portrait de Jean-François Leroy par Patrick Chauvel.
« J’avais un rêve, devenir médecin ! »
Jean-François marque une pause. L’œil brillant il reprend :
« Je me souviens, j’avais 11 ans, c’était le 3 décembre 1967, le professeur de médecine sud-africain, Christiaan Barnard, avait réussi la première transplantation cardiaque, sur un homme de 55 ans, Louis Washkansky. Incroyable ! Une opération qui dura plus de 9 heures avec une équipe de trente personnes. Washkansky n’a survécu que 18 jours, mais ce fut le début d’une grande aventure, des milliers de personnes allaient bénéficier de cette avancée.»
Jean-François allume une cigarette, regarde ses longues mains, l’air rêveur.
« On l’appelait l’homme aux mains d’or. Une légende. Il ressuscitait les gens ! A la troisième opération, c’est la réussite, sa patiente vivra 24 ans… »
Puis, il reprend en expirant la fumée :
« Les Hommes ne meurent jamais ! »
Il marque une pause, regarde passer une jolie fille.
« Oui, les hommes ne meurent jamais… C’est le titre d’un des livres du professeur Barnard. Tu sais que le coeur qu’il a transplanté sur Louis Washansky, était celui d’une jeune femme… C’est peut-être pour cela que ça n’a tenu que 18 jours.
Barnard a divorcé trois fois dans sa vie… Un beau mec avec des problèmes de cœur ! »
Jean-François éclate d’un grand rire, son visage creusé s’éclaire. Il goûte un bon verre de vin rouge en connaisseur.
« J’ai fait médecine ! Six mois à la fac des St. Pères, rue Descartes.
C’était vraiment mon rêve ! Puis il y eut la vie… »
La mort de son père, de sa mère, de sa sœur, de son beau-père.
Solitaire à 26 ans, le rêveur se tourne vers les autres. La Presse, lui permet d’exprimer sa sensibilité, de raconter sans se raconter. Il est secret, écorché et curieux.
Il va travailler à La Vie, Sipa, Photo Reporter, fera des piges à Libé, sera refusé au CFJ.
Nomade, Jean-François cherche.
La reconnaissance, l’amitié, une cause ? Il est jeune !
François Calamy, son ami d’enfance, qui, lui, est devenu médecin, se souvient :
« On se connaît depuis l’age de dix ans, à l’époque du bahut, on était chez Les Bons Pères de St Jean de Passy, ce qui ne nous empêchait pas de nous planquer dans la petite rue Berton pour fumer le lierre qui pendait aux mur près de la maison de Balzac. »
D’où le BAC littéraire de Jean-François, sans aucun doute.
« Il était le seul garçon, élevé au milieu de ses 4 sœurs, ce qui n’était pas simple. Après la mort de sa mère, il s’occupa de la plus petite. Il était attentionné et toujours présent, mais il s’ennuyait et cherchait à accomplir quelque chose ».
A 14 ans, il souhaite devenir prestidigitateur. Il obtiendra le prix du salon de l’enfance pour un tour de magie et fera des séances d’hypnoses devant 300 personnes.
« C’est un séducteur, capable d’être mondain mais aussi d’entrer en révolte, comme quand, après avoir été appelé sous les drapeaux, il fera la grève de la faim en tant qu’objecteur de conscience. Il sera libéré du service militaire au bout de 3 mois.
Jean-François est à la fois tenace et d’une sensibilité majeure, et c’est surtout un ami généreux et fidèle. On se voit toujours.
Il n’est pas devenu médecin, mais il a réussi à trouver une cause à défendre. »
Le métier de journaliste.
En 1986, Jean-François fait un scoop en obtenant les photos persos que le Président François Mitterrand a faites de son chien. Il travaille pour Photo Magazine.
C’est là qu’il fait une rencontre qui va tout changer.
Il croise Roger Thérond.
L’entente est immédiate, Roger croit en Jean-François. Il apprécie ce jeune homme passionné de photo, qui séduit les filles avec sa longue silhouette et sa prestance. On est en plein dans la grande époque du photojournalisme.
Généreux, Jean-François veut partager sa passion, il devient passionnant et cherche un moyen de rassembler toutes ces images qui viennent du monde entier, tous ces photographes qui voyagent au bout de la terre, il veut les rencontrer, il veut qu’ils se rencontrent.
Il veut, et quant il veut, il peut !
Il est prestidigitateur, ne l’oublions pas.
« On pourrait créer un festival photo, pour prolonger la saison estivale! » propose-t-il aux élus de Perpignan, la ville où Roger Thérond a été pion.
Et la magie fonctionne. C’est oui !
Le jeune rédacteur en chef de Photo Magazine crée Visa pour l’image, il a 32 ans. Il s’appelle Jean-François Leroy.
Son plus beau tour de passe-passe, c’est de fasciner le public, professionnel et amateur chaque année pendant une semaine et de trouver l’argent pour que le plus grand festival du photojournalisme continue, comme il le fait depuis 24 ans.
Le roi est nu, il n’a pas les mains en or comme son héros, le professeur Barnard, mais le King de Perpignan a un secret et comme tous les magiciens, Jean-François Leroy ne le partagera jamais… !
Ça ne plaît pas à tout le monde. Il y a ceux qui lui reprochent de monopoliser le pouvoir, de ne pas se renouveler, de faire des choix bizarres… Peut-être. La critique est facile, elle vient avec le succès, surtout quant celui-ci dure. Mais attention, certains « Hommes ne meurent jamais ! », surtout les rois.
Sauf sur les écrans de Visa, pour qu’on ne puisse plus entendre :
« On ne savait pas ! »
À Perpignan c’est la terre à cœur ouvert, et le patient vit toujours, docteur Leroy.
Patrick Chauvel