Pendant les deux années où j’ai vécu tout à côté du cimetière du Père-Lachaise, je ne m’y suis rendu qu’une douzaine de fois, sans m’attarder devant ses illustres sépultures. Je préférais déambuler dans ses nombreuses allées et m’y perdre, littéralement, comme à travers les quartiers d’une vaste cité silencieuse. Et puis, très vite, le statuaire féminin m’a intrigué.
Les sculptures masculines accusent une étrange similitude, un manque navrant de subtilité ; tandis que celles des femmes, non. Plus variées, elles exposent un large registre d’émotions – pleurs, passion, force, sensualité, abnégation. Certes, parfois de manière convenue, mais par là même elles nous assènent un troublant témoignage du regard que nous portons sur elles, de génération en génération. Ainsi, ces figures de pierre touchent d’emblée à l’intemporel, alors que leurs homologues, si bien vêtus, s’évertuent à s’inscrire glorieusement dans leur époque, comme autant de marqueurs de l’Histoire, et, paradoxalement, se laissent dévorer par l’uniformité, gage d’oubli.
Alors que j’avais délaissé le métier depuis une quinzaine d’années, j’ai emporté de quoi photographier ce statuaire. Presque aussitôt, le format carré s’est imposé, peut-être en souvenir du Lubitel 2 de mes débuts. Ou en raison du viseur, comme si hisser un boîtier à l’œil me semblait inconvenant, qu’au contraire incliner la tête m’inciterait à prendre, respectueusement, la pleine mesure du temps. J’ai donc acquis un 6×6, revendu ensuite.
Pas très adroit avec le système de chargement, limité par les douze poses par bobine, je me suis trouvé contraint à photographier avec lenteur, moi qui ne vibrait que dans l’empressement du reporter. Mes sujets immobiles s’y prêtaient faussement – formes et matières s’animent avec la lumière et le vent, changent selon l’heure et les nuages, le degré d’humidité et la saison, sans compter les passants et les chats…
