Il a signé l’image d’une soixantaine de longs métrages de fiction, travaillé avec des réalisateurs nommés Maurice Pialat, Philippe Leguay, Isabel Coixet ou Pedro Almodovar. La longue et belle carrière de Jean-Claude Larrieu commence dans son village des Pyrénées où il a grandi. À quinze ans, il décide de devenir cinéaste, sans l’appui de relations, sans la formation alors monopolisée par les écoles parisiennes de l’IDHEC et de la rue de Vaugirard. Le rêve de toucher une caméra se réalise en 1964 par l’affectation à l’Etablissement cinématographique des Armées, au prix d’un engagement volontaire de trois ans. Une fois libéré, Jean-Claude Larrieu travaille comme caméraman sur des reportages ou des documentaires qui le mènent à travers la France, en Asie, en Amérique du Nord et en Amérique latine. Sa carrière de directeur de la photographie commence en 1980 avec Le Crime d’amour réalisé par Guy Gilles, elles se poursuit aujourd’hui, avec The Bookshop d’Isabel Coixet, et Normandie Nue de Philippe Le Guay qui sortiront en salles à l’automne 2017.
Dans ce parcours, la photographie n’apparaît qu’en 1973, avec l’achat à Hong Kong d’un premier appareil Nikon. Oubliant les lumières du studio, Larrieu devient son propre auteur, il photographie ses proches, les intègre dans l’histoire qu’il partage avec eux.
Les trois cent-cinquante photographies noir et blanc prises aux premiers jours de 1975 dans son village originel feront quatre ans plus tard la matière d’un film, Montastruc, produit par l’INA.
Les photographies présentées par la galerie Patrick Gutknecht courent sur dix années dans ce lieu de passage, d’un phalanstère d’amis qui inventaient leurs vies dans ce petit immeuble aujourd’hui détruit du quartier populaire de la Goutte d’Or, que Jean-Claude Larrieu avait investi en première ligne dès février 1968.
« Les années soixante-dix et quatre-vingt furent d’une délicieuse légèreté », explique Christian Caujolle, ancien directeur de la photographie au journal Libération. « C’est dans la plus grande insouciance que chacun put alors affirmer son droit au plaisir, revendiquer son identité et vivre son corps comme une preuve de liberté. C’était avant ce qu’il faut bien nommer les années sida. A cette époque-là Jean-Claude Larrieu voyageait beaucoup pour d’innombrables tournages et emportait systématiquement avec lui sa cafetière et les objets indispensables pour subsister dans un univers où le ‘’petit noir’’ n’était pas encore universellement répandu. Il emportait également son appareil photo et rentrait après avoir immortalisé, en noir et blanc évidemment, les lits défaits dans ses chambres d’hôtel et quelques personnages qu’il avait jugés suffisamment remarquables. Mais il rentrait toujours vers le port d’attache de la rue de la Goutte d’Or. Et il continuait là à photographier, calmement, sans obligation portée par un ‘’projet’’, au rythme des petits événements du quotidien. C’était avant la pratique compulsive du numérique. Dans cet immeuble où chacun avait son chez soi mais où tous étaient amis et avaient en commun le partage Jean-Claude Larrieu se fit le chroniqueur de cette vie, davantage bohème par nature que par décision. On croise, dans les repas inventés sur le toit aussi bien que lors des escapades en Provence ou dans les moments feutrés près de la cheminée, des écrivains ou des artistes qui deviendront célèbres, des anonymes destinés à le rester, des amis fidèles et éternels, des beaux garçons de passage ou installés pour longtemps, des complices de repas qui devenaient à chaque fois une fête. Le quotidien d’un groupe tissé d’affinités, informel et en même temps constitué autour du photographe et de ses plus proches. »
Certains membres de ce foyer inventé connaîtront leur notoriété, Hervé Guibert, écrivain et photographe, le designer Christian Louboutin, Bernard Faucon photographe, les plasticiens Claude Lévêque et Pierre Reimer.
À trente années de distance, les images de Jean-Claude Larrieu renvoient l’atmosphère chaleureuse des pièces pleines de livres et de dormeurs, l’écho joyeux des rencontres, les dîners sur les toits et les fenêtres sur cour, les déguisements et les galettes des Rois, les virées en Provence et le voyage à New York, avec cette touche de nostalgie sans laquelle il ne serait pas d’âge d’or.
Hervé Le Goff
Hervé Le Goff est un journaliste, critique d’art, essayiste français spécialisé en photographie. Il vit et travaille à Paris.
Jean-Claude Larrieu, Les années Goutte d’Or 1977-1987
Du 4 mars au 29 avril 2017
Galerie Patrick Gutknecht
78 rue de Turenne
75003 Paris
France
www.gutknecht-gallery.com