Jean-Charles de Castelbajac est l’un des membres du jury invité pour la 14ème édition du Prix Picto de la Jeune Photographie de mode. Le célèbre créateur de mode nous livre la relation intime qu’il entretient depuis longtemps avec la photographie, et nous parle du travail de la lauréate Diane Sagnier, jeune photographe de 21 ans. Nous l’avons rencontré quelques minutes après la délibération du jury.
Collectionneur de photos depuis de nombreuses années, pouvez-vous nous décrire la relation que vous avez avec la photographie ?
Jean-Charles de Castelbajac: J’ai toujours été un « ghostbuster ». Dans les premières photos que j’ai collectionnées, j’ai toujours trouvé des fantômes. Notamment au travers de Gustave Le Gray, Charles Nègres ou encore Nadar, lors de ma troisième acquisition, avec un tirage au plomb présentant Victor Hugo sur son lit de mort.
Pour moi, la photo est comme une transmission de traces, de la mémoire. À l’époque, j’aimais beaucoup la photographie historique, liée à la cristallisation de l’instant, comme une cristallisation sentimentale. Ensuite, lorsque j’ai commencé mon métier, je me suis approprié la photo d’art pour la repartager avec la mode. C’est à ce moment là que j’ai commencé, dès l’âge de 19 ans, à travailler avec Oliviero Toscani, Duane Michals ou des photographes de guerre comme Marie-Laure de Decker qui a fait mes premiers portraits quand je suis arrivé à Paris. J’aime toutes les formes de photographie.
J’ai toujours eu une relation extrêmement intime avec la photographie. Je prenais souvent des photographes très artistiques pour amener la mode ailleurs : Robert Mapplethorpe, Cindy Sherman, Les Krims… J’aime la mode et j’aime la photographie comme « trouble maker ». Je n’aime pas ce qui est de l’ordre du constat.
Quand j’ai commencé à collectionner Diane Arbus, je ne savais pas qu’elle était morte; j’ai donc demandé à ce qu’on me trouve son contact car je voulais absolument qu’elle travaille pour moi. Il y avait là une sorte de naïveté, celle là même qui m’a emmené vers les meilleurs, comme dans la peinture avec Jean-Michel Basquiat.
Aujourd’hui, je travaille avec de très jeunes photographes comme Mathieu César que j’adore, et que j’ai connu lorsqu’il avait 18 ans, ou encore Adeline Mai, une photographe très talentueuse. Maintenant c’est la jeunesse, ce sont eux qui m’intéressent.
Ma dernière acquisition est un tirage de Laetitia Benêt, artiste française de 40 ans, représentée par la Galerie Crève cœur à Paris. C’est très beau, presque une œuvre pré-Raphaelite.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le travail de Diane Sagnier, lauréate du Prix Picto de la jeune photographe de mode 2011 ?
Jean-Charles de Castelbajac: Son profil est parfait, et je vais sans aucun doute travailler avec elle pour ma ligne JCDC.
Dans son travail, il n’y a pas que le côté hippie, ça va bien au delà; il y a une lumière très belle, une cristallisation du printemps et de l’automne. Il y a quelque chose d’assez sombre derrière ses images un peu joyeuses. Elle évoque particulièrement bien cette génération perdue, un côté Woodstock très contemporain. J’aime également ce regard féminin, ce regard sur la femme. On est face à une nouvelle sensualité.
Je suis très content que ce soit une élève des Gobelins qui soit lauréate, étant moi-même diplômé de cette école. Les Gobelins ont une grande qualité d’enseignement et sont très exigeants. C’est une école populaire, accessible à tous : c’est important de le dire.
Je crois que la photographie n’a jamais eu un rôle aussi important que dans ce siècle. Elle a eu un rôle majeur quand elle est née bien entendu, ensuite elle racontait tout ce qui se passait dans le monde, et aujourd’hui, elle a dépassé le rôle de mémoire, elle est l’empreinte qui se construit sur la dystopie. Moi j’appartiens à une génération photo basée sur l’utopie. La dystopie nous dit que le pire est à venir, et ce ferment, ce terreau du chaos, est excellent pour la créativité.
Ericka Weidmann