Pour Jan Saudek, sans le corps femme – vivant et pensant, qui assure la continuité dans le temps – l’univers ne se connaît pas lui-même et n’est connaissable par personne. Il fait donc voir l’univers et assure la permanence de cette vue. Le sexe féminin est la voie même de cette continuité. Il faut donc parler de l’enrobement narratif de l’univers dans le corps vivant féminin comme continuité du vivant humain fécondé et pensant. Ici survient la force de la narration de Saudek. Elle englobe toutes les langues et ouvre l’Histoire à un contre-récit guerrier où les rôles sont inversés. Quoique encore opprimée la femme recommence les narrations faussées que les mâles ont inventées à leur profit.
A partir des expériences plus que traumatisantes de la déportation et de la mort de ses proches, Saudek n’a pas tiré que des images de cadavres. Certes la dépouille générique du corps est souvent présente. Néanmoins l’artefact de la mort n’est pas omniprésence. La sexualité suggère la plus sûre « re-remontrance » face à Thanatos. Le monde avance dévisagé, la création replace le commencement, à la sortie de la nuit, dans une aube à l’état naissant propre à l’accroissement du corps.
L’humour est souvent présent pour sublimer l’horreur et ne pas envelopper dans le même rouleau du temps l’histoire du monde et la photographie. Celle-ci contredit la première par le déplacement des raies spectrales. Les femmes crient, rient et râlent, elles échappent à la saturation en oxygénant leurs grimaces. Elles ne stimulent que la quantité utile au volume de leur simulation. Dans des opéras visuels baroques leur beauté casse l’horreur des ruines et la laideur des hommes. Tout ce qui ne va pas droit dans le mur est donc suspendu aux lèvres des femmes.
Les dogmes de l’esthétique de divers temps et lieux se mêlent mais se distancient à travers des œuvres qui troublent l’idée du portrait. Au sein de la figuration le travail de l’artiste pousse une porte non seulement sur l’onirisme mais vers une vision « lynchéeene » des êtres. Saudek plonge en un univers à la fois ouvert et fermé. En conséquence, si la figuration fait loi, on est loin du réalisme. Le piège au regard choisi par l’artiste confronte l’être dans son rapport au réel et à sa propre image. Le diable de la réalité est à ses trousses mais il est pris dans un univers formel à la recherche de l’algorithme de l’image selon des scénographies capables de créer une dialectique subtile. Le Pragois a donc imposé une iconographie paradoxale du classicisme, du baroque et de la modernité. Elle joue sur une nécessaire ambiguïté, un décalage pour métamorphoser le spectateur en un être libre mais aimanté.