Artiste néerlandais conceptuel majeur, Jan Dibbets, dès les années 60 se saisit de la photographie qu’il manipule pour en transcender l’essence même et interroger les mécanismes du regard. Il revient au musée d’art moderne de la Ville de Paris (ARC) à l’invitation de Fabrice Hergott pour composer sa séquence de la photographie préférant le jeu des correspondances intuitives et formelles à la contemplation historique, dans une approche librement subjective. La boîte de Pandore (titre de l’exposition) ouverte par Nicéphore Niepce dès 1824 n’a eu de cesse d’être explorée ensuite par d’autres scientifiques visionnaires plaçant l’image mécanique au cœur des enjeux. De leurs inventions découlent les expérimentations les plus actuelles liées au medium afin d’en repousser toujours plus les limites. C’est de cette radicalité dont s’inspire Jan Dibbets prenant comme point de départ du parcours la reproduction du Portrait de la vicomtesse d’Haussonville par Ingres, exécuté au même moment que les débuts de la photographie, Ingres qui commandait des daguerréotypes de ses peintures, plus fidèles selon lui que des gravures. Se pose dès lors la question du réalisme. Si la photographie permet d’enregistrer les phénomènes de la nature (Talbot et Anna Atkins et plus tard Karl Blossfeldt), l’infiniment grand et l’infiniment petit (Andreas Ritter von Ettingshausen et Auguste Adolphe Bertsch), elle participe rapidement aux avancées de la science , (décomposition du mouvement par Eadweard Muybridge en majesté à travers plusieurs séries et ensuite Marey et Demenÿ, comportements physiologiques par Duchenne de Boulogne ou encore découverte des rayons X par Wilhem C.Röntgen). Des images qui vont ouvrir un nouveau champ d’inspiration pour les avant-gardes du début du XX è siècle, Man Ray, Rodtchenko, Bérénice Abbott, Stieglitz ou encore Alvin Langdon Coburn ou Anton Giulio Bragaglia, moins connus, avant qu’une nouvelle vague technologique ne vienne bousculer l’histoire du medium comme par exemple le phénomène Kodak et la vague des albums de famille ou la percée du numérique, sans doute la plus grande rupture. Jan Dibbets souligne qu’en cela l’évolution de la photographie s’est faite différemment de la peinture moins tributaire de ces bouleversements techniques successifs.
La dernière partie du parcours explore la mise à l’épreuve du medium photographique à l’ère du numérique, dans une approche volontairement resserrée d’artistes contemporains qui obligent à une extension du domaine technique vers la notion d’ « Objets photographiques », telle que défendue par le théoricien Markus Kramer, conseiller scientifique de cette section. Que ce soit Thomas Ruff, Seth Price, Kelley Walker, Wade Guyton ou Spiros Hadjidjanos, ils participent tous à cette hybridation extrême des genres, ces glissements d’un registre à un autre autour des questions de l’original, la reproduction, l’appropriation, dans une logique de reproductibilité du medium.
Jan Dibbets tout au long de l’exposition se place résolument du côté de la duplication s’autorisant des rapprochements d’œuvres similaires, de positif et de négatif et nous invitant alors à repenser la valeur d’usage de la photographie vis-à-vis de sa valeur d’échange. Des questions qui vont bien au-delà du défi qu’il s’était fixé au départ et engagent une véritable réflexion sur le comment photographique en lien avec la pensée du philosophe Vilém Flusser, cet « apparatus » ou appareil à double tranchant. A en croire l’artiste et commissaire, de totalement incomprise, la photographie est devenue l’égale de la peinture ou d’autres champs de la création, son avenir pour peu que l’on sache sortir de la redondance et de la superficialité, n’en sera que plus radieux. Et comme dans le mythe, une fois que la boîte de Pandore est ouverte, impossible d’en endiguer le flux…
EXPOSITION
La boîte de Pandore
Une autre photographie par Jan Dibbets
Jusqu’au 17 juillet 2016
Musée d’art moderne de la Ville de Paris
11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris
France
http://www.mam.paris.fr