La galerie berlinoise présente une vaste sélection de portraits réalisés par Ingar Krauss depuis la fin des années 90. De la campagne allemande à la Russie, en passant par les Philippines, Ingar Krauss pose un regard sensible sur le monde qui l’entoure.
Ingar Krauss est un conteur de l’intelligible. Né en 1965 en Allemagne de l’Est, il fut soignant en milieu psychiatrique avant de s’illustrer dans la photographie. Une expérience de vie qui forgera, sans doute, de futures images abordant la vie du côté des émotions.
Au cours des années 90, Krauss photographie sa propre fille et ses amis au sortir de l’enfance. Parmi ses travaux les plus célèbres, ceux d’Hannah, une jeune fille du petit village de Zechin, situé à la frontière germano-polonaise, où se situe la ferme familiale du photographe. Ingar Krauss suit cette jeune fille habillée de ses longs cheveux blonds sur plusieurs années, la capture dans différentes situations, reprenant toujours les mêmes codes : adossée à un papier peint fleuri, à un large tronc d’arbre ou encore tenant une multitude de ballons devant son visage, brouillant son identité. Les photographies en noir et blanc de ces jeunes adolescents parviennent à frôler la complexité d’une période charnière difficilement saisissable avec des images où une partition d’émotions s’embrassent.
Au début des années 2000, Ingar Krauss visite des prisons juvéniles en Russie pour réaliser le portrait de jeunes prisonniers. Les uniformes sombres contrastent alors avec le blanc éclatant des murs de leur gêole. Seule une étiquette placardée sur leur poitrine semble les différencier. Malgré une mise en scène standardisée véhiculant une certaine froideur, l’intensité émotionnelle qui habite ces jeunes parvient à transpercer le papier. Une posture, un regard, un mouvement de lèvre suffisent à trahir une apparente impassibilité, rendant ces sujets particulièrement touchants.
L’exposition présente également une large série consacrée aux travailleurs saisonniers, venus des pays de l’Est, tels que l’Ukraine ou la Roumanie, pour les récoltes agricoles en Allemagne. Entre 2006 et 2007, Krauss part à leur rencontre en périphérie de Postdam – à environ une heure de Berlin, dans les champs d’asperges et de fraises. Des hommes, soit très jeunes, soit plutôt âgés, photographiés de face avec toujours une même distance, en accord avec la tradition artistique du portrait. Certains fixent l’objectif quand d’autres semblent le fuir et s’enfuir.
Par ce travail, Krauss entend redonner une identité à ces laissés-pour-compte de la société pourtant indispensables pour la faire fonctionner. Travail 7j/7, sans protection, logés de façon plus que précaire… Krauss témoigne plus largement des conditions de travail difficiles de ceux qu’ils baptisent “oiseaux de passage”. Avec la volonté de ne pas les enfermer dans leur position de travailleurs, ces images sont comme une reconnaissance envers leur grandeur et leur humanité.
Les portraits d’Ingar Krauss, comme ses natures mortes, défont leurs sujets de leur cadre spatio-temporel pour les transporter dans un univers quasi onirique. C’est particulièrement saisissant dans ses clichés réalisés à Davos, aux Philippines, colorisés dans un second temps à l’aide d’huiles infusées aux plantes. Par cette technique, il est question pour Krauss de reproduire le plus fidèlement possible l’atmosphère magique qui le saisit à Davos.
Chaque thème abordé par l’objectif de Krauss, qu’il s’agisse de l’enfance, de la solitude ou encore de la précarité, jouit d’une rigueur photographique mêlée à une approche profondément humaine. Un titre teinté de sarcasme pour parler de vies à contre pied des podiums : This Is Not a Fashion Photograph s’intéresse à la fragilité du monde avec un sincère universalisme.
Noémie de Bellaigue
Ingar Krauss à JAEGER ART jusqu’au 22 juin 2024.
JAEGER ART
Brunnenstrasse 161
10119 Berlin
www.jaeger.art