Californie 2008, Carnet de voyage : Sur la trace de Jean-Loup Sieff
1978.
Jean Loup Sieff vient de sortir son livre sur la Vallée de la Mort. Ses photos en noir et blanc, publiées dans les magazines me fascinent. Je viens juste de commencer à apprendre la photographie. La Californie, c’est encore très loin pour moi. Je suis encore étudiant ! Un jour, peut-être. Ces images de Sieff se sont laissées graver tranquillement dans un coin de ma mémoire.
2008
Trente ans plus tard, j’y pense de plus en plus. L’idée d’un voyage en Californie a germé et a même mûri. Cela fait déjà 8 ans que Jean-Loup nous a quitté. Quelques uns des ses livres traînent dan ma bibliothèque, dont celui de la Vallée de la Mort. Ma sœur m’offre le livre de Raymond Depardon « Le désert américain ». C’est le déclencheur. C’est décidé, on achète les billets d’avion. Nicole, qui partage ma vie, aime voyager avec moi. Les dates sont choisies. Ce sera quinze jours en avril. Ce n’est pas beaucoup mais en s’organisant on peut faire des choses intéressantes. Ce sera bien.
2024
16 années plus tard, je redécouvre ces photos réalisées en 2008, mais avec mon œil de 2024. Le nouvel éditing est différent. Certaines photos sont écartées et d’autres que je n’avais pas remarquées à l’époque sont sélectionnées pour former un nouveau portfolio d’une trentaine de photographies à partir de plus de 700 photos réalisées au cours du voyage.
Jeudi 10 avril
Les bagages sont bouclés. J’emporte avec moi mon leica M6 pour le noir et blanc argentique, mon tout nouveau Nikon D300 pour la couleur en numérique, ainsi que mon Hasselblad acheté d’occasion. Tout est prêt, et vers 17h, nous dégustons une bière à la gare de Saint Malo en attendant le TER pour Rennes. Là nous prenons le TGV jusqu’à Roissy. Arrivés à l’aéroport, une navette nous emmène à l’hôtel Ibis pour notre première nuit de voyage.
Vendredi 11 avril
Levés tôt, vers 6h. La navette nous emmène vers le terminal pour prendre le vol de 8h pour Amsterdam. On décolle d’Amsterdam vers 13 h pour atterrir à San
Francisco vers 14h après 10 heures de vol. Nous subissons un décalage horaire de 9 heures. Cela fait drôle de seretrouver en tout début d’après midi dans une ville que nous ne connaissons pas, quand notre horloge biologique qui nous indique 23h ! La journée a duré 33 heures. Il faudra prendre un quatrième repas dans la soirée. Nous prenons chez Avis la voiture de location que nous avions réservée sur internet. C’est une Ford focus, version américaine, toute neuve. Désormais, Nicole s’occupe des cartes, des plans de ville et de la logistique des hôtels.
Moi, je conduis et je prends des photos. Pour absorber le décalage, nous passons les trois premières nuits dans
le même hôtel à San Francisco. La fenêtre de la chambre donne sur un mur.
Samedi 12 avril
La voiture reste au parking toute la journée. On utilise pour se déplacer ces célèbres « Cable Cars ». Ces wagonssur rail, sans moteur, sont mis en mouvement à l’aide de câbles en acier circulant dans une gorge située entre les rails dans la rue. Pour avancer, une pince, actionnée par le conducteur à l’aide de grosses manettes, s’agrippe au câble et la voiture avance à 15 km/h. A l’extrémité de chaque ligne il faut inverser le sens de la marche.
Les voitures sont alors placées sur des plateformes tournantes pour effectuer un demi-tour grâce à la force des bras. Ce spectacle attire toujours du monde.
Dimanche 13 avril
Avant notre départ, un ami m’avait prévenu : » Si tu vois le Golden Gate, prends-le en photo tout de suite, après tu risques de ne plus le voir, il est souvent dans le brouillard. Nous prenons la voiture pour faire le tour de la baie. Le Golden Gate Bridge est là, dans toute sa splendeur, sous le soleil d’avril. Nous l’empruntons, d’abord à pied jusqu’à la moitié. La circulation y est assourdissante et provoque des vibrations à chaque passage de camion.
C’est gênant pour les photos. Nous le traversons ensuite en voiture. Après une jolie balade autour de la baie nous rentrons à San Francisco par le Bay Bridge. Dans la soirée nous nous arrêtons au yacht club pour avoir une vue d’ensemble du pont. Tout est prêt pour les photos. Et là, le Golden Gate Bridge disparait. Il est enveloppé dans une épaisse couche de brouillard venant de la mer. On m’avait prévenu.
Lundi 14 avril
Le décalage horaire nous permet de nous lever tôt sans effort. Nous partons de bonne heure en direction de la Sierra Nevada et du parc national du Yosemite. Je conduis et Nicole me guide. Nous traversons de grandes prairies, des ranchs, puis nous apercevons au loin les montagnes sombres de la Sierra Nevada. On s’installe pour deux nuits dans un motel à Oak Kurst à l’entrée du parc. Une longue marche à pied dans la neige nous conduit vers des séquoias géants. De retour au motel, Nicole, qui ne se sépare jamais de son ordinateur portable, réserve sur internet l’hébergement de notre prochaine étape, à Death Valley Junction.
Mardi 15 avril
Le Yosemite Park. Cette vallée glaciaire est, parait-il le lieu le plus photographié au Monde. C’est aussi le lieu de prédilection du photographe Ansel Adams. Une
galerie lui est consacrée. Nous croisons de nombreux photographes avec trépied et appareil argentique moyen et grand format. Certains pratiquent la photographie à la chambre en utilisant le fameux « zone système » mis au point par le maitre des lieux. Dans le magasin de souvenirs, on vend toute sorte de films, même en bobine 120, ainsi qu’accessoires et filtres pour le noir et blanc.
Mercredi 16 avril
En avril, la route qui aurait dû nous faire traverser la Sierra Nevada est encore fermée pour cause d’enneigement. Nous sommes obligés de faire un détour de 400 km pour rejoindre la Vallée de la Mort. Death Valley Junction est une ville marquée sur la carte. En fait, ce n’est qu’un carrefour au milieu de nombreux bâtiment désaffectés qui témoignent d’une activité industrielle passée. Seul notre hôtel est en activité. Nous sommes hors saison touristique. Trois chambres seulement sont occupées. Pour manger il faut faire 20 km pour trouver un saloon et un restaurant dans un casino de l’autre côté de la frontière, dans le Nevada.
Jeudi 17 avril
Aride, caillouteuse et très chaude l’été, la Vallée de la Mort est le point le plus bas de l’hémisphère nord. A 86 m au dessous du niveau de la mer, les températures peuvent atteindre plus de 60 °C en plein été. A Zabriski Point, je retrouve les paysages photographiés par Sieff en 1978 et le banc photographié en 1982 par Depardon. Il a été déplacé depuis. J’imagine aussi Jean-Loup et Barbara dans leur camping car. Nous retournons passer la fin de soirée au saloon de la veille. Nous sommes déjà des habitués. Les habitants de ce coin perdu en plein désert, aiment parler aux étrangers.
Vendredi 18 avril
Nous restons encore jusqu’à la fin de matinée dans la Vallée de la Mort. Pour voir Dante View et la mer de sel cristallisé. Là, un type, coiffé d’un grand chapeau arrive en gros 4×4. Il sort un appareil photo et un trépied, fait quelques pas dans les crevasses de sel, prend quelques photos et repart aussi vite. Il est resté à peine cinq minutes.
Sur la route de Las Vegas, on s’arrête pour manger et se désaltérer dans une sorte de cafétéria. Une serveuse fortement corpulente nous sert des énormes cocas.
Samedi 19 avril
Nous visitons le barrage hydraulique Hoover Dam. Ce fut le plus haut barrage au monde lors de sa construction en 1935. Il est construit sur le fleuve Colorado et produit l’électricité pour le Nevada et l’Arizona. Le soir nous retrouvons les animations des casinos de Las Vegas avec ses vieilles dames qui s’acharnent sur les machines à sous. On n’entend plus le bruit des pièces qui tombent. Elles ont été remplacées par des cartes électroniques.
Dimanche 20 avril
Pour rejoindre Hollywood, l’autoroute traverse des immensités désertiques. Il n’y a rien, à part des champs de cailloux. La jauge d’essence est basse et il n’y a toujours pas de station. J’aurais dû faire le plein avant de partir. Les autoroutes ont jusqu’à 8 voies dans chaque sens. Les camions sont énormes, les gens sont énormes, les distances sont infinies, les rares villes qui sont pourtant marquées sur la carte ne sont en réalité que de grands carrefours entourés de quelques bâtiments. L’entrée de Los Angeles est interminable avec tous ces nœuds d’autoroutes qui partent dans tous les sens.
Lundi 21 avril
Sur la route qui longe la côte au nord de Los Angeles, on trouve les stations balnéaires de Santa Monica, Malibu, les villes des séries américaines. A cette saison, les plages sont pratiquement désertes, mais il faut quand même payer pour stationner la voiture et accéder à la mer, sauf si on mange pour plus de vingt dollars au restaurant de la plage. Alors le parking est gratuit.
Mardi 22 avril
Nous décidons de remonter tranquillement vers San Francisco. A Los Alamos, nous déjeunons dans un restaurant mexicain des tacos faits maison accompagnés
d’une excellente bière. La Dos Equis. On s’arrête pour passer la nuit à San Simeon. C’est une station balnéaire, déserte en avril, avec une quinzaine d’hôtels, tous plus vides les uns que les autres. Sur la plage, des dizaines de troncs d’arbres sont venus s’échouer.
Mercredi 23 avril
La route qui remonte vers San Francisco en longeant l’Océan Pacifique est très pittoresque et sinueuse. Cette fois, à notre hôtel de San Francisco, notre chambre a vue sur une avenue.
Jeudi 24 avril
Cette journée est consacrée au shopping. Nous entamons une très longue marche à la recherche du magasin de matériel photo Calumet. On y trouve vraiment tout pour la photo numérique, argentique, petit, moyen et grand format. J’y fais mes provisions de films pour l’année.
Vendredi 25 avril
Retour à l’aéroport. C’est fini. On rentre à la maison.