En collaboration avec la Donation Lartigue, la galerie Fifty-One présente à Anvers une sélection d’oeuvres représentative de ces «Instants de vie» que Jacques-Henri Lartigue prit et archiva quotidiennement tout au long de sa longue vie (1894-1986). On y retrouve ces images «iconiques» du mouvement, des machines et du temps qui passe que tout bon livre d’histoire de la photographie se doit de comporter. On prend ainsi plaisir à revoir ces oeuvres d’anthologie comme cette image de la cousine Bichonnade, capturée en plein vol avec ses souliers, sa collerette blanche et son sourire espiègle, ou ce cliché du Grand prix de Dieppe ou la vitesse excessive de l’automobile semble déformer elle-même la photographie. On sourit également en imaginant le jeune Lartigue émoustillé par ces demi-mondaines qui paradent au Bois de Boulogne en montrant leurs meilleurs atours.
Car c’est surtout l’intimité de ce garçon qui aima les femmes toute sa vie que l’on savoure dès que l’on pousse la porte de la galerie Fifty-one.
Comme s’il récréait une page d’un des 135 albums que la Donation Lartigue garde précieusement, Roger Szmulewicz, fondateur de la galerie et un des premiers marchands de photographies en Belgique, a posté en face de la porte d’entrée seize portraits de femmes à la cigarette en 13 x 18 baryté. Les cadrages serrés aux arrières plans flous, atemporels, les contrastes forts, la proximité que ces femmes semblent partager avec le regard du photographe et l’effet de masse que provoque cette série unifiée par le thème de la cigarette, donnent le ton de l’ensemble. A côté des images de machines, de vitesse et d’autres divertissements, Lartigue se pose comme un photographe de l’instant. Il capture désormais sur papier ce qu’il s’amusait, enfant, à enregistrer dans sa mémoire visuelle quand il jouait à cligner des yeux.
Un clignement d’oeil comme le clac du rideau. Enregistrer, rapidement, un moment, pour qu’il ne s’échappe pas. C’est la toute la force futile que dégage l’oeuvre de Lartigue. C’est aussi l’histoire de sa vie.
A l’inverse d’aujourd’hui où l’image a remplacé l’écrit et où les images, toutes les images, se montrent, s’échangent, se mondialisent à la vue de tous, les clichés de Lartigue n’étaient pas destinés à sortir de ses albums. Lartigue gagna sa vie comme peintre mondain et ne fut reconnu comme photographe qu’à l’âge de 69 ans, grâce à l’admiration que lui portait des artistes américain comme Richard Avedon et l’exposition que lui consacra le MOMA en 1963. Pour la petite histoire, c’est à New York, à Central Park, qu’il honora son premier contrat de photographe professionnel. C’était pour Harper’s Bazaar. Il avait 72 ans
Pour Lartigue, la photographie, et ce depuis le plus jeune âge, a été un moyen, un besoin irrépressible, de capturer non pas l’histoire mais uniquement, avec autant de talent que d’égoïsme assumé, sa vie, uniquement sa vie, et rien d’autre. La guerre, les soubresauts du XXème siècle, le monde violent qui l’entoure, ce n’est pas pour lui. A l’instar d’un pierrot lunaire qui ne veut pas voir le mal, Lartigue s’est efforcé de ne jamais le photographier. Pourtant, ce qui aurait pu n’être qu’un banal amas de souvenirs ou un florilège mièvre d’images légères est devenu une oeuvre à part entière, autorisant tant les historiens que les amateurs d’art à en savourer les pages. Car le talent, c’est-à-dire cette capacité à transmettre une émotion, est présent tout au long de ces années.
La sélection de vintages et de tirages de collection ajoute aux classiques quelques touches inattendues, comme ce portrait de Bibi (sa première femme) et d’Yvonne Printemps, collées l’une contre l’autre dans un grand fauteuil en cuir au milieu de l’immense salon de Sacha Guitry. Lartigue cadre large, très large, tant et si bien que les deux femmes semblent devenir un élément de ce décor, de cette pièce qui, comme une scène de théâtre, est peut être le véritable sujet de cette image. On découvre aussi un étonnant portrait de Solange David (1929), aux yeux fermés et à la la bouche en coeur, qui évoque autant un Man Ray qu’une icône surréaliste endormie dans les bras de Dali. On découvre également avec intérêt cet étonnant contrejour pris à Menton en 1978 qui, malgré son exécution tardive, rappelle les décors stylisés en noir et gris des architectes-décorateurs des années trente.
En 1983, un journaliste de la BBC demanda à Lartigue avec quoi il prenait ses photos. Etait ce avec la tête ? Avec les yeux ? Lartigue, qui avait compris le sens de sa question, lui répondit : non, avec le ventre et avec le coeur. C’est peut être pour cela que nombre de ces images nous accompagnent une fois la porte de la galerie fermée derrière nous.
Matthieu Wolmark
Jacques-Henri Lartigue – Instants de Vie
du 7 septembre au 2 décembre 2012
Fifty One Fine Art Photography
Zirkstraat 20
2000 Antwerp – Belgique
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