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Best Of 2018 – Isabel Muñoz : « Les grands singes sont comme nous ! »

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La photographe espagnole a immortalisé nos cousins, les grands primates, dans des portraits vifs et saisissants. Gorilles, chimpanzés, bonobos… ils se sont tous livrés à l’objectif d’Isabel Muñoz qui en a fait une cause à regarder en face : la menace de leur extinction. Ces images viennent ainsi témoigner de cette disparition programmée. Sans ombrage, Isabel Muñoz s’est confiée à L’Œil de la Photographie.

Tout d’abord, j’aimerais savoir d’où vous est venue cette idée de photographier les grands singes ?

Pour moi ça a été une vraie découverte ! A l’époque, dans les années 2000, je travaillais en Ethiopie, sur les personnes qui utilisent leur corps comme vecteur d’expression. J’avais envie de travailler en Amazonie, mais je n’ai pas reçu les autorisations nécessaires. Alors je suis partie en Papouasie-Nouvelle-Guinée et c’est là où j’ai rencontré les singes. Jusque-là, je ne pensais pas me consacrer à un sujet qui vient de la nature sauvage. Je me disais que j’allais me cantonner aux êtres humains, que je n’avais rien à apporter à cette nature déjà sublime en elle-même ! Et puis, je me suis rendue compte qu’il y avait quelque chose à faire avec les grands singes.

Comment les avez-vous photographiés ?

Tout a commencé avec un gorille que j’allais voir au zoo de Madrid. J’ai pu le photographier plusieurs fois et j’ai remarqué qu’il tombait amoureux de sa gardienne, Sandra. C’était tellement émouvant à regarder. Donc, j’ai débuté avec ce gorille, puis je me suis rendue à plusieurs reprises en République Démocratique du Congo pour voir les grands gorilles des montagnes, ceux qu’étudiait en son temps Dian Fossey. C’était une très belle découverte.

Qu’est-ce qui vous a marquée ?

Plein de choses ! Les grands singes, d’abord, ont des sentiments les uns envers les autres. Je les ai vu aimer et être jaloux les uns des autres. C’est assez incroyable ! Aussi, ils font des échanges. Comme nous avec le commerce, les grands singes s’échangent des matériaux, des produits. Par exemple, j’ai vu un gorille casser des noix avant d’en échanger avec un autre. Les bonobos, eux, dès qu’ils sont fâchés entre eux, font l’amour. C’est très drôle et très beau. Et puis, ils avaient conscience que je les photographiais. Il y a même un bonobo qui a imité l’objectif de mon appareil photo avec sa main en me regardant ! Quand tu vois des choses comme ça, tu ne peux pas nier qu’ils ont des sentiments, que ce sont des êtres vivants doués de sensibilité et d’émotions. Ils sont comme nous !

Est-ce que votre travail est aussi une façon de sauver la mémoire d’êtres vivants qui sont menacés d’extinction ?

Peut-être. En tout cas, c’est certain que les grands singes sont menacés, terriblement menacés. Beaucoup de scientifiques mettent en garde : ils risquent vraiment de disparaître dans le futur. Donc, oui, il y a un peu de ça. Disons que je souhaite leur rendre hommage et en ce sens, on peut dire que j’essaye de les sauvegarder, à ma manière. Vous savez, ma rencontre avec les grands singes m’a changée. J’ai du mal par exemple à regarder mes premiers travaux que j’ai faits autour de la corrida. Désormais, j’ai des scrupules. Je pense à la souffrance des animaux.

Quand j’ai vu votre travail sur les grands singes pour la première fois, j’ai été impressionné, mais j’ai aussi pensé aux photographies d’Edward Curtis qui faisait les portraits des Indiens des Plaines à l’aube du XXème siècle et qui lui aussi sauvait leur mémoire…

C’est vrai ! Curtis a fait de très belles photographies…Je ne sais pas si on peut comparer ce travail à celui de Curtis, mais il est vrai que le contexte ressemble. Dans tous les cas, ce sont des espèces menacées que j’ai prises en photographie. J’ai vu des braconniers qui arrachaient les enfants des mains de leur mère. Qui peut faire ça ? Et ne me dites pas que les singes ne souffrent pas…J’ai vu leur souffrance. Maintenant, il faut lutter pour les sauver !

« En cachette, les singes aiment à contempler les hommes, et, en douce, les hommes n’arrêtent pas de jeter des coups d’œil aux singes. Parce qu’ils sont de la même famille (…) » dit un personnage d’une pièce de Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert. Vous êtes d’accord ?

Je ne connaissais pas ce texte ! Oui, tout à fait, il y a du vrai là-dedans. Ce qui est sûr, c’est que nous apprenons énormément de choses en les regardant. Par exemple, ils ont un savoir incroyable des plantes et s’en servent pour se guérir. J’ai même vu un père nourrir un enfant dont la mère était morte et qui ne pouvait donc l’allaiter comme elle, mais qui a remplacé le lait maternel par des plantes. J’ai aussi vu des gorilles faire l’amour et j’ai vu la jouissance de la femelle, c’était incroyable ! Je n’ai pas pris de photographie de cet instant, mais il est gravé en moi. Je dois dire que les grands singes ont profondément influencé ma manière de penser ma photographie. Peut- être que mon dernier travail, présenté à Deauville et consacré aux chevaux, vient de là.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin

 

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