Les faits d’importance qui jalonnent la carrière d’Ira Martin devraient évoquer une figure internationalement reconnue par les historiens de la photo et autres experts. On obtient pourtant lorsqu’on mentionne son nom qu’un hochement de tête de quelques connaisseurs.
Né en 1886 et élevé dans la ferme de sa famille dans le Michigan, Martin a été photographe aérien pour le Corps des Signaleurs en France pendant la Première Guerre mondiale, avant de devenir en 1918-1919 l’un des premiers étudiants de Clarence White, précédant Paul Outerbridge Jr. Il a occupé pendant dix ans la fonction de Président des Pictorialistes Américains (PPA), au cours de l’époque cruciale allant de 1927-1928 à 1937, lorsqu’il était responsable avec Thurman Rotan de la nouvelle publication du PPA, Light and Shade. Cette publication a constitué un supplément aux cinq ans d’albums du PPA, mais elle a surtout positionné fermement le PPA dans la ligne d’une esthétique photographique pure, “droite”, détachée de la dépendance aux effets de flou artistique d’ordinaire rattachés au Pictorialisme. En 1923, Martin a entamé une carrière de presque quarante ans en tant photographe attitré d’Helen Frick et membre du personnel de la Frick Art Reference Library de New York.
On pourrait déduire de ces expériences qu’elles dessinent les contours d’une figure dont l’œuvre et la vie couvrent les pages des histoires et rétrospectives de la photographie au 20e siècle, mais cette exposition reste l’une des deux seules de son œuvre à New York depuis sa mort. Tout au long de sa vie, Ira Martin a beaucoup exposé dans les salons associés à la Clarence White School dans les années 1920, mais aussi à la galerie du fameux marchand d’art surréaliste Julien Levy en 1932. Il a fait la couverture du premier numéro de US Camera en 1936 et on sait qu’il a entretenu une correspondance avec Karl Strus, Edward Wetson, Harold “Doc” Edgerton, Imogen Cunningham et Willard Van Dyke, entre autres. Son œuvre est représentée dans pas moins d’une dizaine de grands musées des États-Unis, dont beaucoup sont considérés comme centraux pour la compréhension du développement et de l’impact de la photographie moderne.
Les sujets et les choix stylistiques d’Ira Martin, bien que variés, reflètent une volonté cohérente d’élargir le sens de la photographie, ainsi qu’une volonté infinie d’offrir une vision claire et de surprendre le spectateur avec l’image la plus réduite et la plus déterminée possible. Ses qualités de concepteur lui permettent d’approcher n’importe quel sujet en l’imprégnant d’un sens qui lui est propre. Design : Bee’s Knees, 1926, tirage platine exquis et rare offre une vision abstraite en gros plan sur le genou dénudé d’une jeune femme en chaussette. La photo cache une sensualité subtile, l’emphase étant mise sur le ton et la texture. The-Man-In-The-Street, 1921 montre de nouvelles preuves de sa conscience de la modernité européenne, par l’utilisation d’une vue d’ensemble sur des passants en train de marcher dans la rue et sur le trottoir.
Ses vues de la ville de New York intégraient un projet développé sur dix ans. Une photo qui semble en avance sur son temps, Wall Street, 1921, montre une vue prise au niveau de la rue sur un homme d’affaires portant un canotier qui marche sur Broadway – la photo annonce la spontanéité du Cartier-Bresson de “L’Instant décisif”. L’exposition intègre également une vue en plongée, Herald Square with El, circa 1927 ainsi qu’une contre plongée, A Century Of Architecture, 3e et 43e rue, 1935, éloge des vanités modernistes aux angles obliques et aux premiers plans interrompus.
Ira Martin, The Family Archive
Jusqu’au 18 février 2017
Rick Wester Fine Art
526 W 26e rue #417
New York, NY 10 001
USA