Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Nous sommes déjà à la fin de cette année 2023. Pour la Photographie et ses serviteurs, ce fut une multitude d’informations nombreuses, variées, attendues, diverses ou surprenantes. Cela prouve que le monde de la photographie est encore vivant, réjouissons-nous, tout le monde ne peut pas en dire autant. Terminons cette année sur le vrai plaisir du photographe, qu’il soit professionnel ou passionné ou vice versa.
Préalablement, juste pour nos mémoires qui s’appauvrissent et pour celles privées de la nouvelle pensée binaire omniprésente, nous avons constaté quelques marquages des évolutions. La plus importante est l’arrivée en force de la conception binaire artificielle d’images à partir de créations très souvent volées. Une telle réalisation a quand même réussi, malgré ses très nombreuses imperfections, à gagner le premier prix (toutes catégories confondues) de la plus prestigieuse compétition mondiale de photographies. Ce qui a permis de confirmer que les jurys des milliers de concours étaient, à la quasi-unanimité, d’une incompétence totale dans le domaine de la photographie et, plus grave, sur les résultats d’un travail supposé photographique. Tout ça n’est rien, sauf que cela a mis en évidence le rôle prédominant des soi-disant mécènes, avec ou sans Fondation, qui exigent leurs poulains et leurs jurys dans toute opération susceptible d’améliorer leur image et de gonfler leur pactole. Ce qui entraîne, bien évidemment, la déliquescence de toutes ces grandes manifestations mondiales, publiques ou privées, qui nous faisaient rêver et créaient des vocations.
C’est suffisant pour terminer l’année et laisser penser que je serai un poil ringard. Pour en finir, coté technique, je demeure persuadé que c’est toujours et que cela sera toujours mieux tant que l’outil obéit à l’homme et ne prétend pas créer pas à sa place.
Dans l’attente de cette nouvelle année qui nous arrive avec de nombreux évènements annoncés, je vous propose un petit voyage organisé, dans notre avenir, à la recherche du Graal Photographique. Chacun de nous espère réaliser une, ou plusieurs, de ses images magiques qui s’imprégneront, dans les esprits et les cœurs, de nombreuses générations.
Que ce soit sous le voile noir d’une chambre « photographique » ou le doigt sur un déclencheur sensitif, il nous faut toujours digérer, en une fraction de seconde, ces milliers de paramètres pour obtenir l’alignement des planètes. Tout le monde est censé savoir que la lumière nous semble être ce qu’il y a de plus rapide, la fixation de la lumière est donc une histoire de temps. Autre préalable pour rassurer les goûts et les attirances de chacun, une photographie sublime a ni genre, ni origine particulière. Actes sportifs, paysages, illustrations industrielles, souvenirs scolaires, natures mortes, portraits, témoignages de guerre, cristallographies, icônes de mode, découvertes sous-marines, microphotographies, scènes sociales, astrophotographies, etc., etc., tout terrain d’investigation photographique est propice à la naissance d’un chef-d’œuvre en devenir.
Par exemple, le paysagiste photographe, c’est seulement, après de longues heures, voire des jours, d’observations préalables, après avoir décortiqué la météo comme un pilote de ligne ou un skipper, après avoir préparé ses supports de prises de vue, qu’ils soient capteurs numériques ou plaques de verre, et après avoir vérifié son barda, qu’il se mettra en route. Encore faudra-t-il poser le ou les pieds support au bon endroit, tout comme un peintre son chevalet ? Ensuite, l’attente s’installe plus ou moins longue, jusqu’à l’instant furtif où il apercevra à l’arrière de sa tête ce que sera son image terminée. Par image, j’entends cette œuvre qui extraira ses spectateurs hors d’eux-mêmes.
Pour un portraitiste photographe, le savoir-faire est ailleurs. Après une longue fréquentation de son sujet ou une analyse psychologique instantané, le créateur doit marier ses compréhensions avec les aspects physiques (contraintes spécifiques incluses) du modèle. Ensuite, l’environnement de la prise de vue s’impose avec son rôle essentiel pour la mise en valeur du sujet ou pour esquisser la patte du photographe. Les démarrages de séance commencent par la réinstallation du sujet dans son comportement naturel, qu’il soit en plein désert ou sous les projecteurs d’un studio sophistiqué. Ce que j’appelle les deux ou trois prises, pour le desserrage du sujet, s’imposent pour s’assurer que tout est en place. Ensuite, l’anticipation de la nanoseconde, devient incontournable pour espérer un échange futur de l’œuvre avec des générations de lecteurs captivés.
Pour les objets inanimés, de l’architecture à la nature morte, tout sera dans la mesure (celle de la distance bien entendu), le millimètre joue un rôle essentiel, très souvent mâtiné avec des choix d’angulation. La position exacte des éléments aspire des heures d’hésitations, leur préparation exige des connaissances presque universelles, la distribution lumineuse représente de véritables casse-têtes. Lorsque tout semble réglé au cordeau, l’horreur s’installe avec un glissement, un mûrissement, une coulée de pluie inattendus. À l’évidence, la naissance de l’œuvre photographique dépendra de la coordination temporelle pour atteindre des sommets.
Beaucoup d’entre vous se sont reconnus dans cette approche de leurs photographies exceptionnelles.
Et puis, il nous reste ces deux exceptions hors du temps ; mais pas hors de la lumière.
La photographie totalement, improvisée, imprévisible, comme dans une loterie. Une probabilité impensable qui s’invite et de montre pourtant bien réelle. Au détour d’un chemin, derrière une fenêtre, à la sortie d’une usine, sur une jetée, au milieu de nulle part, d’instinct, votre doigt va fixer un grand tout fait d’un tout petit rien. Hasard, chance, compétence, …, pourquoi voulez-vous chercher et trouver des explications ou des excuses, puisque l’image est magnifique.
À l’opposé, il y a ce projet d’une prise de vue superbe que nous avons tous vécu. Il y a ce travail, cet investissement personnel, cette création mûrie de longue date, ce concept préparé avec minutie, ne négligeant aucun détail dans sa construction, qu’ils soient au milieu d’un désert ou dans l’intimité d’une alcôve. Jusqu’à l’instant suprême où l’image dans le viseur correspond à la perfection à celle installée dans notre imaginaire. Notre souffle se fige, notre doigt s’immobilise sur le contact, l’instant nous offre la sublime photographie qui s’imprime à jamais dans notre mémoire, rien que pour notre mémoire. Le chasseur d’images décide de laisser sa liberté à la beauté, pourtant traquée, qui s’est pleinement offerte à lui.
La beauté restera éternelle et les jeux de la lumière nous inviteront encore et toujours dans cette année à venir.
Mais, n’oublions pas toutes ces sublimes photographies qui resteront indéfiniment et volontairement invisibles.
Thierry Maindrault
08 décembre 2023
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