Night Walk est dédié par Ken Schles à la mémoire de ceux qui sont morts du sida et de la violence qui se sont emparés du East Village, à New York, dans les années 1980. Compilé plus de vingt-cinq ans après les ravages, cet ouvrage est le contre-point d’Invisible City, livre noir publié par le photographe en 1988. A l’époque, Ken Schles vivait dans l’East Village, dans un immeuble rapidement tombé a l’abandon et transformé en QG par quelques héroïnomanes agressifs. Il sortait tout juste de l’école, avec la photographie pour ambition, même si cela impliquait de se nourrir de pâtes sèches dans les bons jours. Le punk rock commençait a résonner dans les salles underground, inspirant une scène artistique bouillonnante et insouciante à se réinventer au milieu du désastre ambiant – un mélange d’excitation et de danger qui a fait des années 1980 l’époque la plus fantasmée de New York.
Immédiatement devenu culte auprès de cette génération d’agitateurs ébranlés par l’arrivée en trombe de la mort, Invisible City n’a jamais été conçu comme tel. Edité avec le poids vivide du deuil, c’était davantage le testament rédigé par le jeune photographe après la dissipation de son quartier et de sa famille d’adoption : un groupe de performeurs délurés et indomptables que le fléau n’avait pas encore disséminés. L’impression par photogravure renforcait l’intensité des noirs charbonneux et tristement prémonitoires de ses photographies. Réimprimé aujourd’hui par Steidl, Invisible City revêt la même envoutante profondeur, et Night Walk raconte l’autre facette du désastre.
En plongeant dans les archives de cette époque révolue, Ken Schles en a exhumé les morts. Les images sont imbibées de la même fureur qui floute les images d’Invisible City, mais elle sert ici la vie, l’amour. Invisible City débordait de flammes, celles des feux d’artifice et des incendies qui mettaient en cendre l’East Village. Il ne reste dans Night Walk que les explosions festives qui éclairaient les rues le temps de quelques retentissantes déflagrations et les flammes d’allégresse plantées sur un gâteau d’anniversaire. L’atmosphère est intacte, mais la nuit agitée que l’on traverse dans Night Walk se termine par une longue scène romantique dans l’appartement de briques de Ken Schles. De sa fenêtre, on aperçoit les escaliers de secours métalliques qui dessinent toujours aujourd’hui des lignes obliques sur les immeubles du village. « Human beings exist in a word of fantasy. We create metaphors to understand the world, so photographs are a perfect container. We trust them more than we trust memory because memory is ephemeral », rappelle Ken Schles dans une interview pour le Los Angeles Review of Books. Invisible City portait le deuil d’une ville évaporée. Alors que la mémoire y avait renoncé, Night Walk l’a reconstruite.
EXPOSITION
Invisible City/Night Walk 1983-1989
Ken Schles
Jusqu’au 14 mars 2015
Howard Greenberg Gallery
41 East 57th Street, Suite 1406
New York 10022
www.howardgreenberg.com
LIVRES
Invisible City de Ken Schles
34 euros
Editions Steidl
https://steidl.de/Books/Invisible-City-0715182627.html
Night Walk de Ken Schles
38 euros
Editions Steidl
https://steidl.de/Books/Night-Walk-0004133756.html