Les tirages de Martin Parr c’est lui, ceux de Thierry Bouët c’est lui, ceux de Julian Baron et Vincent Ferrané c’est également lui – parmi d’autres expositions produites à Arles. Philippe Gassmann est le directeur général du laboratoire Picto, l’un des labo partenaires du festival des Rencontres d’Arles, il nous parle de l’évolution du laboratoire photographique ces dernières années, l’occasion de faire le point sur le positionnement et sur les ambitions de Picto, société familiale, qui fête cette année, ses 65 ans d’existence. C’est ainsi qu’il nous annonce la reprise du laboratoire Janvier et de l’arrivée de Picto à New York…
L’Oeil de la Photographie : Le laboratoire photographique a particulièrement évolué ces dernières années. Comment avez-vous anticipé ces changements?
Philippe Gassmann : Le laboratoire est un des lieux à la fois témoin et acteur de l’histoire de la photographie. Au quotidien, nous sommes en relation avec les différents acteurs qui font ce métier. Nous sommes au plus près de leurs demandes et préoccupations. Lorsque le numérique a fait son apparition, tous les acteurs de la photographie ont dû se remettre en cause, à commencer par les photographes. L’équilibre financier du laboratoire a été perturbé. Les développements de films et la duplication de diapositives qui assuraient la rentabilité du laboratoire ont disparu. Il a fallu se réinventer tout en continuant de répondre aux attentes des photographes et des annonceurs. Cela aura pris 10 ans à Picto, de 2002 à 2012.
Chacun à sa manière, les laboratoires ont cherché des solutions pour s’en sortir. Une chose est sûre. Il fallait réinventer le laboratoire. Car sinon, nous étions condamnés à la décroissance.
Picto a décidé d’agir et s’est lancée dans un effort d’innovation commerciale (déploiement de métiers complémentaires à son activité historique de développement de pellicules) puis dans un effort d’innovation technologique qui visait à intégrer les solutions internet dans son modèle, c’est-à-dire:
Tout d’abord, permettre aux clients d’avoir un accès direct à l’ensemble des prestations offertes par l’entreprise depuis une plateforme de tirage et d’impression en ligne (tirage argentique, impression pigmentaire et impression grand format UV et latex),
Ensuite, permettre aux entreprises de structurer leurs besoins de communication par l’image à l’aide d’une médiathèque dédiée, hébergée sur les serveurs de PICTO,
La société a réussi à se maintenir non sans difficultés et sacrifices, tant financiers qu’humains, grâce à sa volonté de ne pas se contenter d’une simple adaptation des outils existants mais, au contraire, en recherchant des outils de croissance dans l’innovation technologique.
LODLP : On a pu craindre avec l’arrivée du numérique, l’abandon du tirage. Comment avez-vous vécu et repositionné le laboratoire?
PG : Il ne faut pas confondre l’album photo, qui a été remplacé par le livre photo, et le tirage d’Art ou d’exposition que nous pratiquons depuis 65 ans et qui n’a jamais été en danger. Ce qui a été perturbant, c’est l’arrivée de l’impression pigmentaire sur des imprimantes Epson et HP, avec une qualité d’impression remarquable, un coût d’acquisition bas des imprimantes et soudainement, des centaines d’offres de papier qualité photo lumière Ilford, Kodak et Fujifilm. Le repositionnement du laboratoire a consisté, en partie, à intégrer cette nouvelle offre à destination des photographes.
LODLP : Les métiers se sont diversifiés, certaines pratiques ont été abandonnées, d’autres sont innovantes. Comment, dans ce contexte, répondre aux attentes du marché, des clients, des artistes?
PG : En matière de tirage Photo, la réponse de Picto a été de continuer à s’adresser aux professionnels en proposant 3 niveaux de services : une prestation « Expo », en rendez-vous avec un de nos experts tireurs, nous travaillons l’image avec le photographe jusqu’à son entière satisfaction, une seconde prestation « Pro », en bénéficiant de notre savoir-faire au comptoir de Picto Bastille. Le photographe nous fait confiance pour la réalisation de ses tirages et enfin une prestation « Online » en toute autonomie sur www.pictoonline.com. Le photographe télécharge ses images, choisit le type de papier, le format, l’encadrement etc.. et reçoit ses tirages chez lui.
LODLP : Quels sont les services emblématiques de Picto? Quand on parle labo, on pense bien sûr tirage mais aujourd’hui, comment fonctionne le marché?
PG : Nous venons de parler du tirage photo qui est l’ADN de Picto.
La retouche d’image est le 2eme service qui a fait les lettres de noblesse de Picto. La retouche fait son apparition chez Picto bien avant l’arrivée du numérique, dès 1970. A l’époque, nous avions fabriqué un banc de reproduction pour faire des masques … Depuis 1990, nous avons changé d’outil mais le savoir-faire est toujours là, à destination des annonceurs.
Compte tenu des priorités de Picto à l’époque, il y a néanmoins deux activités que nous n’avons pas pu développer :
Celle de la capture numérique, dans les années 2000. Les photographes ont dû intégrer le numérique dans leur process de production, notamment dans le secteur de la Mode et du Luxe. Nous aurions pu les accompagner, en gérant la location de matériel et la retouche dans la foulée. Mais, contraint par la lourde période de restructuration qu’a connu le marché, nous n’avons pas pu intégrer ces nouvelles pratiques dans notre offre. En 2015, les photographes ont globalement acheté les dos numériques. Ils n’ont plus besoin de la même assistance.
Et, celle de la retouche créative auprès des directeurs artistiques et des photographes. Les agences de publicité ont progressivement développé des services intégrés de retouche. Les agences se sont détournées de Picto. Nous n’avons pas réagi. Et pourtant, le marché de la retouche créative est encore bien là. Et le sera encore pour de longues années. Les agences de publicité ont maintenant d’autres enjeux. Elles doivent rapidement se structurer en matière de communication digitale pour survivre.
Nous verrons plus loin comment Picto compte reprendre l’initiative pour proposer cette dernière activité.
Le 3ème service que nous avons choisi de développer dans les années 2000 est celui de l’impression numérique Grand Format. Dans un premier temps, nous savions, qu’à l’image de l’impression pigmentaire, l’impression UV ou Latex pouvaient offrir de nouveaux moyens d’expression aux photographes. Les bâches, les vinyles et le papier dos bleu font maintenant parties du décor dans les expositions, les Foires, les Festivals. Une autre clientèle s’avère intéressé par le grand format : tous les départements PLV et Merchandising des annonceurs du Luxe. Les petites séries, habituellement imprimées en Sérigraphie, peuvent maintenant être produites sur les dernières générations d’imprimantes UV. Elles apportent une réponse économique au marché.
Les Ambitions de Picto
LODLP : Il y a 15 ans, on comptait un grand nombres de laboratoires, plus ou moins grands. Aujourd’hui, on assiste à des rapprochements. Quels sont les nouveaux enjeux?
PG : Des dizaines de laboratoires ont malheureusement disparu ces dernières années. Au décès accidentel de mon père en 2004, Picto disposait de capitaux propres importants. Ils ont permis la restructuration qui s’en est suivi. Et puis, après avoir connu une période faste pendant plusieurs décennies, il fallait une bonne dose d’énergie pour prendre les choses en main et réinventer le laboratoire.
En 2015, nous arrivons sur une période de restructuration. La consolidation de marché est à l’ordre du jour. Picto compte bien devenir l’acteur majeur de l’image photographique haut de gamme en France auprès des photographes et des annonceurs du Luxe.
A ce sujet, je peux vous annoncer la reprise de la société Janvier – Analogue.
LODLP : Comment cela s’intègre dans votre projet global?
PG : Comme je le disais précédemment, nous n’avons pas pu répondre au besoin des créatifs en matière de retouche. Ce rapprochement de raison, mais aussi de passion, permettra dorénavant à Picto de proposer une solution de retouche créative en complément de la retouche technique que Picto propose depuis 45 ans.
LODLP : Pour les clients/artistes, quels sont les changements notables?
PG : Christophe Eon et Jean Leclercq ont toute ma confiance pour la poursuite de leur activité. Les équipes de Janvier-Analogue et PICTO continueront leurs vies propres en termes de prestations. Pour nos clients respectifs, le fonctionnement ne changera donc pas. Nos organisations et les interlocuteurs dédiés des deux structures resteront les mêmes. Seules, les complémentarités seront développées.
LODLP : Vous avez été les premiers à proposer des services en lignes, vous proposez une couverture nationale, vous êtes présent et réactif sur des grands évènements (Photoquai, Exposition au Jeu de Paume, à la MEP ou à Beaubourg), vous participez à de nombreux Festivals ( Rencontres d’Arles, Promenades Photographiques, …), de nombreuses Foires ( Paris Photo, Fotofever, Art Paris,…), vous êtes organisateur ou partenaire de Prix photographiques et de nombreuses galeries et artistes, partenaires avec plus de 30 Ecoles des Beaux-arts ou photographiques… Quelles sont les ambitions de Picto sur l’international?
PG : En fait, Picto s’est étendu à l’international, il y a un mois, en ouvrant un studio de production à New York, au coeur de Manhattan. Picto NY a inauguré son activité avec des marques européennes du luxe telles que Van Cleef & Arpels, Givenchy et Chloé, assurant ainsi une cohérence visuelle de leurs campagnes internationales en Amérique du Nord.
LODLP : Comment cela s’articule? Est-ce un Picto indépendant ou une filiale? Quels seront les services proposés?
PG : C’est une filiale à 80% de Picto Paris. Le CEO est un ami d’enfance, Edouard Beaslay.
Nous voulons y offrir un service de gestion des plans Media Presse et Web et de la retouche. Nous pensons que notre savoir-faire et notre réputation permettront d’attirer rapidement des marques et des photographes locaux pour consolider notre présence.
LODLP : Est-ce le début d’une expansion dans un projet global d’internationalisation ou pour répondre à des besoins spécifiques de clients que vous vous lancez dans cette aventure US ?
PG : En matière de Plan Média, il serait logique d’avoir une présence en Asie. J’y travaille…
Savoir-Faire Picto
LODLP : Picto est réputé pour la qualité de ses tirages et pour sa capacité à écouter et accompagner les photographes. Comment définissez-vous l’accompagnement des photographes/tirage sur rendez-vous? A qui cela s’adresse-t-il?
PG : Le tirage en rendez-vous est au cœur de l’origine de Picto. Mon grand-père était très proche des photographes de la première heure de l’agence Magnum.
Il a créé le laboratoire parce qu’il était passionné par la photographie et avait un certain talent pour le tirage. Il voulait aider ses amis photographes à tirer le meilleur de leurs négatifs. Le métier de tireur est, par essence, un métier d’accompagnant. Celui-ci, fort de son savoir-faire et de sa sensibilité, doit pouvoir conseiller, proposer une interprétation qui soit en accord avec le discours de l’auteur d’une image, tout en sachant se mettre en retrait. C’est un « métier de l’ombre ».
Le tirage en rendez-vous, prestation historique chez Picto s’adresse à tous ceux qui veulent pouvoir échanger avec un professionnel du tirage et bénéficier de son expertise et du savoir-faire Picto, transmis de génération en génération. Cet accompagnement tient à un ensemble de différentes choses : dans le cadre d’un rendez-vous, un photographe travaille « en régie » et échange avec le tireur. Ce dernier est à son écoute. Il réalise des tests nécessaires à la réalisation de son tirage.
Il arrive qu’un photographe vienne avec une problématique artistique qui nous pousse à chercher ensemble la bonne solution et c’est là que cette prestation prend tout son sens.
LODLP : On constate aujourd’hui un regain d’intérêt pour le tirage argentique, qu’en pensez-vous? Est ce un effet de mode?
PG : Le tirage argentique a toujours été le support de référence en matière de tirage, tant auprès des photographes que pour les collectionneurs.
Je ne pense pas que ce soit un effet de mode, il est clair que celui-ci a fait ses preuves. On a, aujourd’hui, le recul nécessaire pour savoir que ce support est fiable et pérenne. Par ailleurs, dans l’inconscient collectif, le support argentique pourrait disparaitre. Et ce qui est rare est cher. Donc encore plus attractif à court terme.
LODLP : Quels sont les nouveaux supports que vous proposez à vos clients?
PG : Hormis les supports jet d’encre RC satiné et brillant qui sont la version pigmentaire des supports argentiques classiques, nous proposons un large éventail de papiers texturés pour des impressions jet d’encre Fine Art, provenant de chez différents fabricants (Canson, Hahnemühle, …) et qui varient selon la tonalité de leur blanc, plus ou moins chaud, leur épaisseur et leur texture.
En avril dernier, nous avons choisi de proposer les papiers de prestige de la manufacture japonaise AWAGAMI.
Il nous a paru pertinent de pouvoir élargir notre offre de support. Ce sont des supports de très belle qualité, et en plus, ils ont des particularités esthétiques qui peuvent apporter de nouvelles perspectives pour les créations des photographes.
LODLP : Vous travaillez avec de grands noms de la photographie mais aussi de grandes marques. Qui sont vos clients et que viennent-ils chercher chez vous ?
PG : Nous avons le plaisir de travailler au quotidien avec les plus grands noms de la photographie, des photographes auteurs, reporters, plasticiens, mais aussi des institutions, des galeries, des musées, pour lesquels nous réalisons des tirages d’expositions, des installations.
Nous comptons également parmi notre clientèle, de grandes entreprises qui s’inscrivent dans tous les secteurs du Luxe. Sachant répondre à toutes les étapes de la chaîne graphique, nous les accompagnons sur divers projets liés à leur communication.
L’histoire de Picto donne confiance et rassure. Les clients savent qu’ils s’adressent à une entreprise qui sait faire depuis 1950. Nous avons cette histoire et donc l’expérience, et travaillons à transmettre ces compétences au fil du temps. Ensuite, il faut démontrer notre savoir-faire tous les jours. Pour cela, nous cultivons l’écoute et avons tous chez Picto, un lien particulier avec la photographie et l’image. Je pense que notre clientèle en a conscience et qu’elle nous restera fidèle encore longtemps.
EXPOSITIONS
Expositions produites dans le cadre du Festival des Rencontres d’Arles et du OFF
Du 6 juillet au 20 septembre 2015
– Martin Parr : impressions jet d’encre Latex sur papier peint brillant pré encollé et impressions jet d’encre latex en grand format sur bâche.
– Thierry Bouët : tirages jet d’encre pigmentaire sur papier baryté, contrecollés sur Alu.
– Julian Baron : impressions jet d’encre Latex sur vinyle et impressions jet d’encre Latex sur papier intissé.
– Vincent Ferrané : tirages argentiques sur Lambda sur papier RC satiné.
– Le Clud des DA (OFF) : contrecollage.
– Nathalie Mazéas (OFF) : tirages photo fine art pigmentaire sur papier Awagami Kozo blanc, encadrements caisse américaine.
– Yves Marcellin (OFF) : tirages jet d’encre pigmentaire sur papier Fine Art.
– Nicolas Gilbert (à Arles cet été) : tirages jet d’encre pigmentaire sur papier baryté, contrecollés sur Alu.
34 rue du docteur Fanton
13200 Arles
France
http://www.rencontres-arles.com
INFORMATIONS
Laboratoire Picto
53bis, rue de la Roquette
75011 Paris
France
http://www.picto.fr
http://online.picto.fr