Aline Manoukian est une passionaria. Séduisante, voluptueuse, elle baigne dans la photographie depuis toujours et défends avec fougue son métier. Aline Manoukian est iconographe. Depuis 2010 elle est la présidente de l’ANI, l’Association Nationale des Iconographes, une association qu’elle défend corps et âme.
Après des études d’Histoire de la photographie en Californie au début des années 80, elle décide de retourner au Liban, son pays natal. Elle travaille alors comme photographe pour le Daily Star avant d’intégrer l’équipe de Reuters au Liban où elle dirigera le service photo. Elle continue en même temps d’exercer la photographie en couvrant la guerre à partir de 1984.
A la fin de la guerre, elle s’installe en France où elle rejoint Rapho avant de faire une pause pour se consacrer à son enfant. Quelques années plus tard, la photographie a changé avec le numérique. Aline n’a pas les moyens de renouveler tout son matériel, elle devient iconographe.
Parlez-nous du métier d’iconographe.
Aline Manoukian : Derrière une iconographe, il y a une culture générale et une véritable culture de l’image. Quand on est iconographe, on raconte l’histoire par des images. Nous sommes Picture editor/ des rédacteurs photo. Aujourd’hui, c’est une fonction qui a tendance à disparaître au profit des directeurs artistiques, voir des maquettistes. Or, ce n’est absolument pas la même chose. Le directeur artistique et la maquettiste ont un œil graphique, mais pas forcément photographique. Nous choisissons une photographie pour sa valeur éditoriale et non pour sa qualité artistique.
Les rédactions n’ont plus de budgets pour les productions et la qualité et l’exclusivité ne sont plus des critères. Nous nous dirigeons de plus en plus vers l’ère des agences à bas prix. Je travaille en free lance pour plusieurs magazines. Il m’est arrivé de faire un remplacement dans une rédaction où l’on me demandait de trouver tout ce qui était possible sur une personnalité. Je devais faire 3 enveloppes, la première pour les photographies gratuites, la seconde était réservée aux « pas chères » et enfin la dernière aux « chères » qui correspondait en fait aux prix normaux. C’est scandaleux. On m’a demandé de faire des paquets, pas de faire une recherche.
Comment vous voyez la situation des jeunes photographes aujourd’hui ?
Aline Manoukian : Les jeunes photographes ont souvent financé leur reportage par un travail alimentaire parallèle. Si par exemple ils partaient en Equateur pour un reportage de fond, ils en profitaient aussi pour faire du « stock » (images d’illustration) pour leurs agences. Ils vendaient alors ces images à des rédactions et cela leur permettait de vivre de leur métier. En sachant qu’on rémunérait alors le photographe selon le tirage du magazine et le format de l’image, peu importe le sujet.
Maintenant c’est terminé, cela n’existe plus car pour des images d’illustration, les rédactions utilisent internet et des systèmes comme Fotolia.
Dans cette évolution, n’y a t-il pas quelque chose de positif ?
Aline Manoukian : La seule chose que je trouve positive dans tout ce merdier, c’est que cela va permettre de filtrer beaucoup de gens. Les plus déterminés vont rester. Les relations se sont aussi beaucoup améliorées dans le milieu car il n’y a plus de grosses têtes, on est tous sur un siège éjectable. C’est toujours excitant dans une période de transition et j’espère qu’avec ces bonnes relations, nous allons voir les choses évoluer dans le bon sens.
Quelle image choisiriez-vous si vous deviez illustrer votre interview ?
Aline Manoukian : Une photographie qui me touche…Celle de Tom Stoddart où l’on voit une mère sans jambes, les bras ouvert avec un enfant courant vers elle. C’est une des photographies les plus puissantes que j’ai vu ces dernières années. Quand on est incapable de penser à cette photographie lorsque l’occasion se présente et bien c’est extrêmement dommage, car cela signifie qu’elle reste dans les tiroirs. On ne peut pas trouver cette photographie sur internet avec des mots clés. Elle ne va pas sortir par hasard, il faut la connaître.