L’Institut culturel italien présente une exposition de Patrizia Mussa, Théâtralités, plus tard en mars la Galerie XII Paris en présentera une autre, Architecture de l’imaginaire. Gabriel Bauret nous envoie ce texte.
L’œil Flottant
La sensation que l’on éprouve lorsque l’on entre dans une salle de théâtre ou d’opéra guide le travail que Patrizia Mussa mène depuis maintenant plusieurs années sur les intérieurs des édifices italiens, de Turin à Venise, et du nord au sud, jusqu’à Naples et Palerme. C’est peut-être même l’un des premiers motifs de sa quête : revivre et restituer une expérience personnelle à travers le geste artistique. La sollicitation visuelle est présente dans les nombreux détails qui composent les salles qu’elle a choisi de photographier. Entrer dans chacune de ses images, c’est en effet découvrir la diversité des formes du théâtre dit « à l’italienne » : les peintures qui ornent les plafonds, les statues installées sur les côtés de la scène, les lustres et autres éclairages, les motifs et la couleur des rideaux qui font écho aux sièges des spectateurs, ainsi que la variété des matériaux entrant dans la composition des bâtiments … Des éléments décoratifs citent ou symbolisent le théâtre et l’opéra, la littérature et les livrets, leurs récits, leurs auteurs, les figures en lien avec le patrimoine de l’antiquité, la mythologie si souvent présente en filigranes dans les monuments italiens.
Au début de son travail, Patrizia Mussa semble adopter majoritairement un point de vue frontal, se postant d’abord face à la scène qui s’offre au regard du spectateur, puis elle opère en contrechamp. L’objectif se tourne également en direction du plafond et le rideau se lève parfois sur un tableau, celle d’une pièce à venir. Peu à peu, son attention se transporte ailleurs : elle sort de la salle, explore en quelque sorte l’envers du décor, promène son regard dans le hall, le foyer et les coulisses. Elle photographie les chantiers de restauration de certains bâtiments, s’aventure même à l’extérieur. Mais l’intention artistique, le traitement qu’elle fait subir à ses images n’entraîne pas pour autant le spectateur sur la voie de la restitution documentaire qui serait empreinte d’un esprit d’inventaire.
La démarche de Patrizia Mussa suit une ligne étroite, subtile, entre la réalité et l’interprétation des lieux, entre l’acte photographique et le geste pictural ; plus exactement le recours au pastel qui confère à l’image une atmosphère et une tonalité très particulières mais participe aussi du désir de se détacher sensiblement du monde réel, d’une forme de déréalisation. La combinaison de la technique de la photographie et d’une intervention manuelle constitue une écriture originale qui permet à l’artiste d’exprimer ce qui n’aurait sans doute pas pu être saisi dans un premier temps par la prise de vue. On assiste à une fusion de deux opérations que l’on doit ici distinguer de la colorisation des vues en noir et blanc, procédé qui a jalonné jusqu’à aujourd’hui l’histoire de la photographie. Car ce n’est pas tant la couleur qui se superpose au noir et blanc pour donner un surplus de présence ou de réalisme. Au contraire, Patrizia Mussa s’éloigne sensiblement des lieux et nous entraîne vers sa propre perception du monde du théâtre et de l’opéra. Il s’agit en effet pour elle de se détacher de la surface proprement dite de la photographie pour installer l’écriture à un autre niveau et dans le même temps faire que chaque image ainsi réalisée devienne unique.
Le pastel fait même naître comme un voile entre la réalité des lieux et la forme de souvenirs très personnels que Patrizia Mussa vient ici raviver ; une part de mystère s’invite dans cette vision du monde de l’opéra et du théâtre. Notre œil flotte ainsi dans un entre-deux ; à tel point que l’on hésite sur la véritable existence de ces architectures, comme si elles étaient sorties de l’imagination de l’artiste.
Gabriel Bauret
Extrait d’un texte publié dans l’ouvrage « Teatralità » paru en 2023 aux éditions Silvana Editoriale, à l’occasion d’une exposition de Patrizia Mussa au Palazzo Reale à Milan.
Patrizia Mussa, Théâtralités
Institut culturel italien
Hôtel de Gallifet
50 rue de Varenne
75007 Paris
Du 29 janvier au 4 avril
https://iicparigi.esteri.it/fr/
Patrizia Mussa, Architecture de l’imaginaire
Galerie XII Paris
14 rue des Jardins Saint-Paul
75004 Paris
Du 13 mars au 10 mai
https://www.galerie-photo12.com/fr/