Récemment présentée à New York sur les cimaises de l’International Center of Photography, l’exposition « Robert Capa et la couleur » présente pour la toute première fois les photographies en couleur de Robert Capa. Connu surtout pour ses images en noir et blanc, technique dont il fut l’un des maîtres, il travailla régulièrement en couleur à partir de 1941, utilisant ce support jusqu’à sa mort en 1954. Si quelques-unes de ces images furent publiées à l’époque dans la presse magazine, la grande majorité d’entre elles n’a jamais été tirée sur papier ni a fortiori vue sous quelque forme que ce soit.
Révélant près de cent cinquante tirages couleur d’époque ainsi que des documents personnels, « Robert Capa et la couleur » apporte un éclairage inédit sur un aspect inattendu de sa carrière et jusqu’à présent absent des ouvrages et expositions posthumes. Capa a adopté la couleur pour l’intégrer à sa pratique de photojournaliste dans les années 1940 et 1950.
Robert Capa (1913-1954), l’un des plus éminents photojournalistes du XXe siècle, est né sous le nom de Endre Ernö Friedmann à Budapest. Naturalisé citoyen américain en 1946, il fut salué par la revue Picture Post comme le « plus grand photographe de guerre au monde » à l’occasion de la publication, à la fin de l’année 1938, de ses images de la guerre d’Espagne. Travaillant au cours de la Seconde Guerre mondiale pour des magazines comme Collier’s et Life, il a dressé un portrait détaillé de ces conflits, de leurs préparatifs et de leurs ravages. Symbolisant pour beaucoup la barbarie de la guerre, mais aussi l’héroïsme qu’elle suscite, ses images les plus célèbres ont changé la perception de la photographie de guerre par le public tout en redéfinissant le genre.
Le 27 juillet 1938, alors qu’il séjournait depuis huit mois en Chine pour couvrir la guerre sino-japonaise, Robert Capa écrit à son agence new-yorkaise, demandant à un ami de lui « faire parvenir douze rouleaux de Kodachrome avec les modes d’emploi ; envoie les « Via Clipper », parce que je tiens une idée pour Life ». Aucune de ces pellicules en couleur de Chine n’a été retrouvée – seuls subsistent quatre tirages publiés par Life dans son numéro du 17 octobre 1938 –, mais cela montre que Capa s’intéressait à la photographie en couleur avant même qu’elle soit massivement adoptée par les photojournalistes.
En 1941, il photographie Ernest Hemingway, en couleur, dans sa résidence de Sun Valley, en Idaho, et utilise encore la couleur pour réaliser un reportage sur un cargo accompagnant un convoi allié traversant l’Atlantique, des photos qui seront publiées par le Saturday Evening Post. Il est certes plus connu pour ses images en noir et blanc du débarquement en Normandie, mais il n’en a pas moins épisodiquement utilisé la couleur au cours de la Seconde Guerre mondiale, notamment en 1943 pour photographier les soldats américains et les régiments français de méharistes stationnés en Tunisie.
Après guerre, il fait un usage généralisé de la couleur à l’occasion de reportages qu’il publie dans diverses revues comme Holiday(États-Unis), Ladies’ Home Journal (États-Unis), Illustrated(Royaume-Uni) et Epoca (Italie). Visibles jusqu’à présent uniquement dans des doubles pages de magazine et montrant aux lecteurs américains et européens des images de gens ordinaires ou de pays lointains, ces photographies sont sensiblement différentes des reportages de guerre qui avaient constitué auparavant l’essentiel de son travail. Son talent et sa technique, conjugués à sa volonté de témoigner des émotions vécues dans ses reportages en noir et blanc d’avant guerre, lui permettaient d’utiliser alternativement la pellicule noir et blanc et la pellicule couleur, intégrant ainsi cette dernière et complétant avec elle les sujets qu’il photographiait. Ces premiers reportages regroupent notamment des photographies de la place Rouge à Moscou réalisées en 1947 lors d’un voyage en URSS avec l’écrivain John Steinbeck, ou de réfugiés et de colons débarquant en Israël dans les années 1949-1950. Dans le cadre de son projet Generation X, Capa s’est rendu à Oslo et dans le nord de la Norvège, à Essen et à Paris, pour photographier la vie et les rêves de la jeunesse née juste avant guerre.
Les images de Capa offraient également aux lecteurs de la presse magazine un aperçu sur des existences plus mondaines qui dépendaient en partie du charme et de la séduction qu’exerçait la photographie en couleur. En 1950, il fréquente les stations de ski huppées des Alpes suisses, autrichiennes et françaises, ainsi que des stations balnéaires prestigieuses, comme Biarritz et Deauville, pour couvrir le marché en pleine expansion du tourisme sur lequel capitalisait la revue Holiday. Il s’essaie même à la photographie de mode sur les berges de la Seine et place Vendôme. Mais il photographie aussi des vedettes hollywoodiennes et des cinéastes sur les lieux de tournage de leurs films en Europe, notamment Ingrid Bergman dans Voyage en Italie de Roberto Rossellini, Orson Welles dans La Rose noire et Moulin Rouge de John Huston. Parmi d’autres portraits saisissants de cette période, on remarquera ceux de Picasso, à la plage en compagnie de son jeune fils Claude. Ces images en couleur sont indissociablement liées à l’après guerre, aux reconstructions mais aussi à l’exubérance de cette période.
Après la guerre, quand il part en reportage, Capa s’équipe systématiquement d’au moins deux appareils, l’un chargé en pellicule noir et blanc, l’autre en pellicule couleur. Il utilise alternativement des pellicules Kodachrome 35 mm et 4 x 5, ainsi que des Ektachrome moyen format, mettant en avant l’importance de ce nouveau médium dans l’évolution de son travail photographique. Il continue à utiliser la couleur jusqu’à la fin de sa vie, notamment en Indochine où il trouve la mort en mai 1954. Les photographies en couleur qu’il réalise à l’occasion de cette dernière campagne annoncent les images en couleur qui allaient dominer la couverture photographique de la guerre du Viêtnam dans les années 1960.
Commissaire : Cynthia Young, conservatrice des archives Robert Capa